* La France veut reprendre l'initiative au Conseil de sécurité

* Elle portera un projet de résolution sur la Syrie

* Tout a été fait pour ménager la Russie, acteur clef

* Pour Paris, une solution politique reste la priorité

par Emmanuel Jarry

PARIS, 15 avril (Reuters) - Après les frappes françaises, américaines et britanniques en forme d'avertissement contre l'arsenal chimique de Bachar al Assad, la France s'efforce de reprendre l'initiative politique pour relancer la recherche d'une solution pacifique en Syrie.

Emmanuel Macron et ses ministres des Affaires étrangères et des Armées, Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, ont multiplié les déclarations dans ce sens depuis 24 heures et tenté ainsi de se distinguer de l'allié encombrant qu'est Donald Trump.

De son côté, l'ambassadeur français auprès des Nations unies, François Delattre, a annoncé samedi au Conseil de sécurité à New York que la France porterait avec ses partenaires britanniques et américains un projet de résolution "sur les volets politique, chimique et humanitaire du dossier syrien, en vue d’établir une solution durable au conflit".

"La France travaillera avec tous les membres du Conseil de sécurité à cet effet", a-t-il ajouté.

Tout a été fait avant les frappes, dans la conduite des opérations et après pour ménager la Russie, soutien de Damas et acteur clef, qui a fait savoir samedi soir qu'elle restait en contact avec Paris, Washington et Londres.

"Nous avons pris grand soin de ne pas conduire cette opération dans un sens qui pourrait constituer une quelconque escalade", dit Florence Parly dans les colonnes du Parisien Dimanche. "Nous ne souhaitions pas que les Russes soient pris par surprise."

"Nous sommes conscients que la résolution de la crise syrienne ne passera pas par l'utilisation des armées", ajoute la ministre, pour qui la "priorité absolue" est maintenant que tout le monde se remette autour d'une table.

LA FRANCE TEND LA MAIN À LA RUSSIE

"Il faut espérer maintenant que la Russie comprenne qu’après la riposte militaire sur cet arsenal syrien, nous devons joindre nos efforts pour promouvoir un processus politique en Syrie", renchérit Jean-Yves Le Drian dans Le Journal du dimanche.

"La France est disponible pour y parvenir", dit-il. "Sauf qu’aujourd’hui celui qui bloque ce processus, c’est Bachar al Assad lui-même. A la Russie de faire pression sur lui."

Pour le chef de la diplomatie française, la relance du processus diplomatique et politique doit commencer par une trêve "vraiment respectée" et l'achèvement du démantèlement de l'arsenal chimique d'Assad qui devra être validé par l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).

La trêve doit permettre la reprise de l’aide humanitaire, poursuit le ministre des Affaires étrangères. "Enfin, il faut revenir au processus politique défini par la résolution 2254 (du Conseil de sécurité de l'Onu), qui prévoit l’adoption d’une nouvelle Constitution et des élections libres."

Il souhaite aussi qu'Idlib et ses deux millions d'habitants, dont des centaines de milliers de Syriens évacués des villes rebelles reprises par le régime dans le nord du pays, ne soit pas la prochaine étape de la guerre de reconquête d'Assad, après Alep-Est fin 2016 puis la Ghouta orientale, ces derniers mois.

"Le sort d’Idlib doit se régler dans le cadre d’un processus politique qui implique le désarmement des milices", explique-t-il. "Nous resterons également attentifs à la situation dans le Nord-Est, libéré de Daech avec notre soutien."

Daech et les autres groupes islamistes radicaux restent l'ennemi principal, n'a de cesse de marteler Jean-Yves Le Drian.

Pour lui, il faut aussi "tout faire pour éviter que la présence militaire iranienne en Syrie ne débouche sur une explosion du conflit en dehors des frontières syriennes".

MACRON TÉLÉPHONE TOUS AZIMUTS

Emmanuel Macron a appelé samedi un autre acteur clef de la crise syrienne, le président turc Recep Tayyip Erdogan, pour lui proposer d'intensifier la concertation entre Paris et Ankara.

Le chef de l'Etat français a également parlé à Donald Trump et à la Premier ministre britannique, Theresa May, à qui il a tenu le même discours: le Conseil de sécurité des Nations unies doit reprendre l'initiative "dans l’unité".

Les détracteurs de l'intervention de samedi, comme le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, ou la présidente du Front national, Marine Le Pen, mettent en doute la capacité de paris à jouer les médiateurs en raison de son partenariat avec les Etats-Unis de Donald Trump dans ces frappes.

"Nous ne sommes plus du tout dans une situation indépendante qui nous permettrait d'avoir un rôle de médiation possible", a ainsi estimé le premier.

Pour l'ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, les frappes de samedi renforcent au contraire la position de la France, notamment vis-à-vis de la Russie. Vladimir Poutine, dit-il dans Le Parisien Dimanche, "s'est trop habitué à considérer que les Européens comptaient pour du beurre".

"Si quelqu'un peut enfin proposer une vision sur une cohabitation Europe-Russie dans la durée, c'est Macron. Pas les Etats-Unis parce que Trump est complètement emberlificoté dans ses affaires internes, ni la Grande-Bretagne", ajoute-t-il.

Pour Hubert Védrine, le sort de la Syrie est pour le moment entre les mains de la Turquie, de l'Iran et de la Syrie.

Mais "peut-être la Russie trouvera-t-elle un jour embarrassant d'être coincée avec de tels alliés", estime-t-il. "Il lui sera alors plus facile de réintroduire la France dans le jeu plutôt que n'importe lequel des Occidentaux."

(Édité par Henri-Pierre André)