par Crispian Balmer et Dan Williams

JERUSALEM, 28 avril (Reuters) - Israël risque de perdre une partie de sa crédibilité pour avoir fixé une "ligne rouge" à l'Iran au sujet de son programme nucléaire et menacé Téhéran de frappes militaires, alors que la possibilité pour l'Etat juif d'intervenir unilatéralement s'amoindrit.

Quand, en septembre 2012, à la tribune des Nations unies, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a fixé un ultimatum à l'Iran en traçant physiquement un trait rouge au travers d'une bombe pour indiquer une ligne à ne pas dépasser, il s'est assuré la une des journaux du monde entier. L'Iran, disait-il alors, ne doit pas amasser suffisamment d'uranium enrichi à 20% pour pouvoir aller au delà et fabriquer une bombe.

Depuis, rien ne s'est produit et l'Iran a désormais développé sa capacité nucléaire au-delà de la limite posée par Israël sans déclencher d'alerte, souligne Amos Yadlin, ancien responsable du renseignement militaire israélien.

"Aujourd'hui, on peut dire que les Iraniens ont franchi la ligne rouge fixée par Netanyahu à l'assemblée de l'Onu", a déclaré Amos Yadlin lors d'une conférence de l'Institut des études pour la sécurité nationale (INSS) qu'il préside.

Les services de Benjamin Netanyahu ont refusé de réagir aux propos d'Amos Yadlin, rappelant les derniers commentaires publics du Premier ministre selon lesquels l'Iran continuait à se rapprocher de la ligne rouge.

Collant aux propos de Benjamin Netanyahu, les responsables israéliens de la défense font clairement comprendre qu'Israël reste prêt à agir seul contre l'Iran.

"Nous ferons ce qui est nécessaire quand ce sera nécessaire", a déclaré le chef d'état major des forces armées, Benny Gantz à la radio israélienne le 16 avril.

PAS SANS LES ETATS-UNIS

Pourtant, dans les milieux diplomatiques, le scepticisme croît. Les installations nucléaires iraniennes sont désormais très protégées, fait-on valoir.

"Si rien ne s'est passé l'an dernier, j'ai du mal à voir pourquoi cela se produirait cette année", explique un diplomate de haut rang à Tel Aviv sous le sceau de l'anonymat.

D'autres voix influentes estiment que le temps n'est plus où Israël pouvait frapper l'Iran seul, sans dépendre d'une décision des Etats-Unis.

"S'il y avait une bonne fenêtre de tir pour attaquer, c'était il y a six mois, pas forcément maintenant", déclare Giora Eiland, ancien conseiller israélien à la sécurité nationale. Sous la pression de Washington, affirme-t-il, Israël a été contraint de renoncer à son plan de frappes.

D'ailleurs, le président israélien Shimon Peres n'a-t-il pas lui-même laissé entendre qu'à son avis, ce serait au président américain Barack Obama d'entrer en guerre contre l'Iran en cas d'échec de la diplomatie nucléaire ?

En outre, malgré une nouvelle livraison de matériel militaire des Etats-Unis à Israël la semaine dernière, comprenant des avions de ravitaillement susceptibles d'aider des chasseurs à faire l'aller-retour vers l'Iran, Israël est loin de pouvoir revendiquer la puissance de feu que peuvent apporter les Etats-Unis sur le champ de bataille.

Ainsi, Israël n'est pas en possession des bombes de type bunker-buster qui, aux dires des experts, seraient nécessaires pour atteindre le site souterrain d'enrichissement iranien de Fordow.

SABOTAGE

Le précédent ministre de la Défense, Ehud Barak, avait lui-même dit en novembre 2011 que neuf mois plus tard, il serait sans doute impossible d'arrêter l'Iran en raison de l'augmentation du nombre de ses centrifugeuses et du développement de ses sites en réseau, créant ce qu'il avait appelé une "zone d'immunité". Depuis, 17 mois ont passé.

Les Etats-Unis ont bien promis à Israël qu'ils ne laisseraient pas l'Iran développer la bombe atomique, mais le temps considéré par Israël comme étant celui où il faut intervenir n'est pas celui des Etats-unis.

Les Israéliens ne font pas la différence entre l'acquisition de la capacité à fabriquer une bombe atomique et l'arme elle-même. Amos Yadlin l'a souligné lors de la conférence de l'INSS : dès que Téhéran pourra mettre ne serait-ce qu'un engin rudimentaire sur un bateau et l'envoyer vers un port israélien, l'Iran sera pour Israël une nation détenant l'arme nucléaire.

Les Etats-Unis, eux, veulent empêcher l'Iran, qui a appelé à la destruction de l'Etat d'Israël, d'arriver au moment où ils seront en passe d'acquérir la bombe nucléaire. Ce qui à leurs yeux ne semble pas être le cas pour le moment et laisse encore du temps à la diplomatie.

En attendant l'intervention américaine promise, Israël pourrait s'être rabattu sur de discrètes actions de sabotage, suggère un responsable de la sécurité.

Depuis 2010, cinq chercheurs iraniens ont été tués ou agressés lors d'incidents qui semblaient viser le programme nucléaire iranien. Israël n'a jamais dit mot de ces attaques ni d'autres actes connus de sabotage sur des sites iraniens. (Avec Fredrik Dahl à Vienne; Danielle Rouquié pour le service français, édité par Pascal Liétout)