* Un empressement qui étonne même ses partisans

* De grands risques politiques et économiques

* Plutôt trop tard que trop tôt, tempère Coe-Rexecode

par Jean-Baptiste Vey

PARIS, 5 janvier (Reuters) - L'empressement du gouvernement à faire adopter la TVA sociale avant l'élection présidentielle surprend y compris des défenseurs de cette idée et fait enrager ses opposants.

François Fillon a confirmé jeudi qu'une réforme serait présentée en février malgré l'opposition des syndicats, de la gauche et de l'opinion publique. (Voir )

"C'est incompréhensible. Par leur précipitation, ils risquent de ruiner une idée qui n'est pas absurde", s'étonne un haut fonctionnaire sous condition de l'anonymat.

Le rapporteur de la commission des Finances de l'Assemblée, le député UMP Gilles Carrez, ne cache pas non plus sa surprise.

"C'est une réforme de début de législature", a-t-il dit à Reuters. "L'idée est bonne, sans aucun doute, mais c'est la mise en oeuvre qui est difficile, et en fin de mandat, ça rend les choses très compliquées."

La "TVA sociale" consiste à augmenter la TVA tout en baissant les charges sociales afin d'alléger le coût du travail pour favoriser l'emploi et augmenter la compétitivité des entreprises françaises alors que la France s'achemine vers un déficit commercial record au titre de 2011.

Mais, souligne Gilles Carrez, "c'est une idée qui nécessite du temps pour être mise en oeuvre dans des conditions satisfaisantes. Il faut deux ou trois ans pour la digérer."

La TVA est, de loin, la première source de recettes de l'Etat, tandis que la protection sociale est très largement financée par les charges payées par les employeurs et les salariés.

TROP TÔT OU TROP TARD ?

Des économistes s'inquiètent du moment choisi pour augmenter la TVA, alors que la France est peut-être déjà en récession.

"Une augmentation du taux de TVA serait suicidaire", estime Marc Touati, économiste chez Assya compagnie financière.

"Si vous augmentez la TVA, mécaniquement ça va faire baisser le pouvoir d'achat des ménages et peser négativement sur la consommation", a-t-il dit après l'annonce d'une baisse de la consommation en novembre.

Gilles Koleda, directeur des études du cabinet économique Coe-Rexecode, tempère ce risque : "Je ne crois pas qu'on puisse dire 'c'est trop tôt', le risque est plutôt : c'est un peu tard."

Le ralentissement économique atténue les pressions à la hausse sur les prix, souligne-t-il, une partie du pouvoir d'achat des salariés pourrait être regagnée par une baisse des charges sociales et les entreprises seraient incitées à répercuter au moins une partie de la baisse de leurs coûts.

"Il faut donner un coup de fouet, un bol d'air, aux industriels, en leur permettant de regagner un peu en compétitivité-coûts", ajoute l'économiste, en soulignant la progression plus rapide des coûts salariaux en France.

Confronté à un chômage au plus haut depuis 12 ans, à quelques mois l'élection présidentielle, le gouvernement compte sur cette mesure pour soutenir l'emploi. Un impact positif est possible mais pas garanti, disent les spécialistes.

"Si la TVA sociale se fait en baissant le coût du travail au niveau du smic, ça peut avoir des effet sur le marché du travail à court terme", estime Pierre Cahuc, économiste spécialiste du marché du travail. "Le problème c'est qu'il y aura une baisse du pouvoir d'achat".

"ILS RISQUENT TOUT"

"Augmenter les prix à un moment où les Français rament, ce n'est pas possible. Franchement, c'est une idée stupide", juge pour sa part Philippe Moreau Defarges, politologue à l'Institut français des relations internationales.

"Nicolas Sarkozy est dans une période extrêmement difficile et je me demande si dans son équipe ils n'ont pas le sentiment que c'est largement perdu, et comme c'est largement perdu ils risquent un peu tout", ajoute-t-il.

Favori des sondages, le candidat socialiste à l'élection présidentielle, François Hollande a dénoncé ce projet, comme le candidat centriste François Bayrou.

Les opposants soulignent que le dispositif pénalisera au premier chef les ménages modestes, la part de leurs revenus consacrée à la consommation étant plus importante, et mettent en doute l'efficacité d'une telle réforme.

"C'est une mesure inutile pour la compétitivité et dangereuse pour la consommation", estime le président de la commission des Finances de l'Assemblée, Jérôme Cahuzac (PS).

"La gestion gouvernementale chaotique de ce dossier, la présentation fallacieuse ou mensongère qui en est faite en faisant croire à la mesure miracle au moment où trop d'entreprises délocalisent ou sont liquidées font craindre une fin de règne dangereuse pour les Français", a-t-il dit à Reuters.

"Confronté à ce très mauvais bilan, Nicolas Sarkozy se livre à une fuite en avant et tente de faire croire qu'il agit."

Côté syndicats, l'accueil a été glacial, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, estimant qu'il s'agissait de "l'arnaque la plus importante de ce début d'année."

Selon un sondage CSA pour L'Humanité, 64% des Français sont opposés à la TVA sociale. (Avec Leigh Thomas, Emmanuel Jarry et Catherine Bremer, édité par Patrick Vignal)