* La France pourrait être présente "deux à trois ans"

* Giscard d'Estaing met en garde contre une évolution "néocolonialiste"

* L'UMP et le Front de Gauche demandent des clarifications (Actualisé § 4 avec Hollande)

par Marine Pennetier

PARIS, 16 janvier (Reuters) - L'engagement de la France au Mali, sur les fronts militaire puis politique, risque de durer plusieurs années, un scénario à même de fragiliser le soutien de la classe politique et de l'opinion, estiment des analystes.

Au sixième jour de l'opération Serval, les interrogations se sont accentuées dans l'opposition, mais aussi au sein de la majorité, sur les perspectives de la mission française, qui vise à éradiquer la menace islamiste au Mali, rétablir la sécurité sur le territoire et à favoriser un processus électoral.

L'exécutif français a accrédité mercredi à demi-mot les craintes d'une intervention de longue durée, alors que l'armée a engagé des troupes au sol. "Ça sera long", a déclaré, sans plus de détail, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.

François Hollande s'est lui-même placé dans cette perspective, précisant lors de ses voeux aux parlementaires: "Un vote du Parlement interviendra si l'opération devait se prolonger au-delà de quatre mois, c'est la lettre de notre Constitution".

Pour Philippe Hugon, directeur de recherches à l'Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) chargé de l'Afrique, la reconstruction de l'Etat malien et le retour à la légitimité politique prendront du temps.

"Je pense que la France est présente pour un long moment, peut-être deux à trois ans au Mali", a-t-il dit dans un entretien à Reuters.

"Au-delà des actions qui doivent être menées avant mars pour des questions climatiques, il va y avoir une présence au sol de l'armée française, un problème de contrôle du territoire sur du long terme, un problème aussi de soutien et de reconstruction de l'armée malienne", a-t-il souligné.

"NÉOCOLONIALISTE"

"L'Etat malien dans ses fonctions régaliennes doit être reconstruit et des projets de développement économique doivent être mis en place afin de donner des perspectives aux populations, notamment celles du Nord", bastion des islamistes, juge Philippe Hugon.

Face au risque de prolongation du conflit, l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing a mis en garde mercredi contre une évolution "de type néocolonialiste", citant l'exemple du conflit afghan.

"Des frappes aériennes dans le nord et l'est du pays atteindraient des populations civiles et reproduiraient les destructions inutiles de la guerre en Afghanistan", estime-t-il dans une interview au Monde.

Les députés UMP de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale ont demandé à auditionner Jean-Yves Le Drian, "dans les plus brefs délais", s'étonnant "qu'une éventuelle audition ne soit prévue que la semaine prochaine soit plus de dix jours après le début des opérations".

Pour le politologue Stéphane Rozès, le gouvernement doit définir clairement les objectifs et les missions exactes des forces françaises s'il veut conserver le soutien de la classe politique et de l'opinion.

"Le consensus politique sera indexé sur l'opinion. Pour l'instant le consensus existe, un consensus d'union nationale, ne serait-ce que parce que nos soldats sont en première ligne", juge le président de Conseils, analyse et perspectives (Cap).

"Or, le consensus est fort dans l'opinion mais il est sans doute à faible intensité, ce n'est pas non plus un chèque en blanc", souligne-t-il.

"En termes d'acceptabilité du coût humain et du coût économique de tout cela, la France doit fournir des définitions précises : jusqu'où et pourquoi nos forces militaires interviennent-elles? Et avec qui ? Combien de temps la France va être seule en première ligne?"

"EVITER UN ENLISEMENT"

Lors d'un débat sans vote à l'Assemblée sur l'opération au Mali, le président de l'UMP, Jean-François Copé, s'est interrogé sur les objectifs de François Hollande. "Nous ne pouvons nous disperser et devons tirer les leçons de l'Afghanistan", a-t-il dit.

"Rien ne nous assure que cette intervention ne se termine par un échec, de lourdes pertes humaines et des déflagrations en cascade dans l'ensemble du monde musulman", a estimé pour sa part le député du Front de gauche, François Asensi.

"Il est impératif de clarifier les buts de cette guerre pour éviter un enlisement, comme peut le laisser présager l'engagement de nos troupes au sol", a-t-il ajouté.

Pour l'heure, les trois-quarts des Français se disent favorables à l'intervention militaire au Mali, ce qui est la plus forte approbation pour une opération de ce type depuis quinze ans, selon un sondage BVA pour Le Parisien.

De là à en attendre un effet sur la cote de popularité déclinante du couple exécutif, il y a un pas que Frédéric Dabi, de l'Ifop, ne franchit pas.

"Dans un contexte de crise économique très fort, le sentiment des Français vis-à-vis de l'exécutif est très fortement indexé sur les questions économiques et sociales et dans ce cadre, il n'y a que ces questions qui peuvent faire bouger à la hausse ou à la baisse la cote de popularité", précise-t-il.

A l'Elysée, on concède que le choix d'intervenir au Mali était "périlleux" et aurait pu se retourner contre le chef de l'Etat, mais que "les Français ont compris qu'il y avait un risque de diffusion du terrorisme". (avec Marc Joanny et Elizabeth Pineau, édité par Sophie Louet)