"Quel regard portez-vous sur le blocage des négociations entre la Grèce et ses créanciers privés ?
La participation du secteur privé décidée en octobre afin de rendre soutenable la dette publique grecque avait été de 50%. Ce pourcentage avait été basé sur des perspectives de croissance surestimées, des besoins de recapitalisation bancaires sous évaluées, des objectifs de réduction du déficit trop ambitieux.
Ces 50% de décote semblent ne plus suffire à présent. Il y a lieu de les compléter par une réduction plus importante de la dette détenue par le secteur privé-nous irions jusqu’à un pourcentage allant de 65 à 75%- ou par une réduction de la dette grecque détenue par les Etats de la zone euro. Cette seconde solution pose le problème de savoir si ces Etats seront en mesure de supporter les pertes dans la mesure où leur note vient juste d’être dégradée. Les finances publiques de ces Etats pourraient s’en trouver alourdies. Par ailleurs, les petits pays de la zone affichent une opposition farouche à cette option.

Il semblerait que ce sont surtout les hedge funds qui posent problème…
Le PSI représentent tous les acteurs privés détenteurs de la dette publique grecque : les banques, les compagnies d’assurances, les fonds d’investissement, les hedge funds. Cela représente au total environ 200 milliards d’euros.
La part détenue par les hedge funds est difficile à évaluer. Les estimations sont de 50 milliards d’euros. Ces hedge funds s’opposent à une participation à une décote plus élevée de la dette grecque. Il pourrait en ressortir des clauses d’action collective, autrement dit, d’imposer une obligation aux acteurs privés d’accepter la décote.
Dans ces conditions, il résulterait un défaut de la Grèce pour une période relativement limitée.

Pensez-vous que ce défaut déclencherait les CDS ?
Très probablement.

Un autre problème lié à ce défaut réside dans l’aléa moral et l’effet de contagion sur d’autres pays...
Typiquement, un pays comme le Portugal pourrait vouloir bénéficier du même traitement que la Grèce et connaitre également un défaut organisé. Sachant que les efforts demandés pour un défaut du Portugal seront moindres que ceux exigés dans le cas du défaut de la Grèce.
C’est la raison pour laquelle actuellement un des rares pays pour lesquels nous observons un écartement des spreads est le Portugal.
De quelle manière voyez-vous se dénouer la situation ?
Nous pensons qu’il y aura un accord. En revanche, des incertitudes pèsent sur les conséquences politiques et financières éventuelles de cet accord. Nous attendons les termes de l’accord pour se faire une opinion.

Des recapitalisations bancaires plus importantes devraient être nécessaires ?
Environ 50 milliards d’euros sont détenus par les banques grecques. Dans le cas où la décote s’avère plus importante, les 26 milliards d’euros de recapitalisation nécessaires passeront à 40 milliards d’euros. Cela aura vraisemblablement des répercussions sur d’autres banques européennes.
En termes de calendrier, quand escomptez-vous une visibilité ?
La Grèce doit faire face à des échéances importantes le 20 mars d’environ 14 milliards d’euros. En l’état actuel des choses le pays n’a pas la capacité d’y faire face. Il a besoin du bénéfice du second plan d’aide adopté en octobre qui suppose au préalable l’application du PSI.
Il faudrait donc qu’un accord clair et précis soit trouvé d’ici fin janvier, début février.

Quel regard portez-vous à présent sur les récentes déclarations de Christine Lagarde selon laquelle les ressources du FMI seraient augmentées à 600 milliards de dollars afin de renforcer la capacité de prêt de l’organisation internationale à 1000 milliards de dollars ?
Avant de s’interroger sur la réalisation effective d’un tel projet, il est bon de s'interroger sur la raison qui a poussé Mme Lagarde à avancer une telle intention. Pour quel motif veut-elle augmenter la force de frappe du FMI ? Il y a encore aujourd’hui environ 350 milliards de dollars de disponible au sein de l’organisation.
Peut être Mme Lagarde anticipe-t-elle du stress plus important que ce que l’on a connu jusqu’à présent, par exemple avec un gros pays comme l’Italie qui soit amené à demander de l’aide.
Sur le plan pratique, de toute évidence, les Etats-Unis vont s’y opposer non seulement parce que l’on s’inscrit dans une année électorale mais surtout parce qu’outre-Atlantique on est dans un état d’esprit de fermeture du robinet pour la finance. Il est frappant d’observer ce qui se passe au niveau des agences hypothécaires américaines. Auparavant l’objectif affiché était d’avoir le maximum de propriétaires aux Etats-Unis, aujourd’hui l’objectif est que les agences hypothécaires ne fassent pas de pertes pour que cela ne coute plus aux contribuables américains. Le centre de gravité s’est complètement déplacé. Il n’est plus à l’égard des financiers et des emprunteurs, mais à l’égard des contribuables.

Mettez-vous en réserve cette réponse négative en fonction de l’évolution des évènements dans la zone euro ?

Je ne pense pas. La zone euro a jusqu’à présent fait du colmatage pour gagner du temps et pouvoir mettre en place la gouvernance européenne nécessaire. Dans le cas d’une détérioration de la situation dans la zone euro, les américains se tourneront vers les européens pour leur demander de prendre leurs responsabilités et les bonnes décisions.
Ceci étant, on peut se demander si le droit de véto américain arrêtera pour autant le FMI. Autrement dit, celui-ci peut il organiser un financement unilatéral par le biais des pays émergents sans l’accord des Etats-Unis. A ce jour, il ne le peut pas. Nous ne pouvons pas pour autant exclure un changement de règles.

Alimentez-vous des inquiétudes concernant les émissions obligataires à venir de certains Etats membres, notamment l’Espagne ou l’Italie ?

Il y a sur les adjudications un effet très favorable des opérations de refinancement à trois ans de la BCE sur la partie courte de la courbe, sur les émissions de 12 à 18 mois. Les banques tirent bénéfice d’un emprunt peu cher, à 1%, pour le replacer dans des titres offrant un taux de rendement plus élevé et pratiquement pas de perte en capital.
L’effet des opérations de la BCE est en revanche très marginal pour les émissions des titres à plus longue échéance. Les banques ne veulent pas s’engager à prendre du risque, en particulier du fait de l’EBA. Elles ne sont pas à l’abri d’une nouvelle exigence formulée par l’autorité de régulation de tenir compte des moins values sur les titres de dette et de devoir en conséquence renforcer leurs fonds propres en cas de perte.
L’Espagne a par deux fois collecté deux fois plus d’argent que ce qui était initialement prévu. Cela peut être perçu comme une bonne nouvelle. Cependant on peut se questionner sur la raison qui a poussé le Trésor espagnol à agir ainsi : soit les besoins de refinancement s’avèrent plus importants que prévus, soit des réserves sont effectuées par crainte que les taux redeviennent beaucoup plus élevés à l’avenir.

Quelle est votre théorie à ce sujet ?

Je pense que les deux raisons coexistent. Les déficits budgétaires ont été plus significatifs en 2011 que ce qui était prévu, de 8,2% au lieu de 6%. L’objectif pour 2012 est 4,4%. Un plan d’austérité supplémentaire d’environ 50 milliards d’euros serait nécessaire pour l'atteindre. La récession espagnole serait alors condamnée à s’aggraver ce qui va peser sur les finances publiques.
Le secteur bancaire devra par ailleurs faire 50 milliards d’euros de provisions supplémentaires pour faire face aux conséquences de l’éclatement de la bulle immobilière et à la surévaluation des actifs immobiliers dans leur bilan. Cela supposera pour plusieurs établissements une recapitalisation. Certaines entités ne seront pas en mesure de le faire. Cela rejaillira incontestablement sur l’Etat.

Quid de votre perception sur l’Italie ?
Nous n’avons pas eu en Italie le même excès d’endettement privé qu’en Espagne. Par ailleurs, depuis le début de la crise financière en 2008, le niveau de cet endettement est quasiment stable alors qu’il a sensiblement augmenté en Espagne.
Ceci étant en Italie, les indicateurs avancés se sont fortement détériorés depuis septembre 2010. Cette détérioration est en partie due à une crise de confiance, dans la gouvernance du pays, dans la gouvernance de la zone euro mais elle semble durer et pourrait alors résulter du durcissement des conditions d’octroi de crédit. Avec un taux obligataire souverain de 6,5%, les banques sont contraintes à pratiquer des taux de près de 10% dans une économie en récession.

Peut-on avoir des surprises négatives dans les adjudications à l’avenir ?
Oui. Nous connaissons pour le moment une accalmie. La crise n’est pas terminée et ne le sera pas tant que ne sera pas mise en place d’un fédéralisme européen qui nécessite auparavant une gouvernance politique nouvelle qui passe par la coordination des politiques fiscales et économiques et par l'instauration d'une règle d'or fiscale.
La tendance de ces prochains mois devrait alors se caractériser par une forte volatilité. Nous aurons une alternance de périodes de répit et de périodes de stress rythmée par des décisions politiques, des chiffres macroéconomiques. Ces périodes de stress pourraient exiger une intervention supplémentaire de la BCE.

Une dernière question concernant le pacte budgétaire européen en cours d’élaboration. Pour certains experts, le texte actuel est trop strict. S’il devait passer tel quel, les marchés financiers pourraient réagir très négativement ?
De manière pragmatique, il y a lieu d’adopter aujourd’hui des règles qui rassurent les allemands. Les politiques économiques sont amenées à s’opérer dans un contexte plus contraint qu’avant avec la nécessité de réduire le déficit budgétaire et de se conformer à une règle d’or fiscale. Pour autant les Etats ne perdront pas toute marge de manœuvre pour agir sur la croissance.

L’objectif d’une réduction du déficit de 0,5% vous semble réalisable ?

Reste à savoir si ce 0,5% devra être respecté en toutes circonstances, ou sur un cycle de croissance…

Ne trouvez-vous pas aberrant qu’excepté les pays qui bénéficient d’une aide, les Etats européens ayant une dette de plus de 60% du PIB (ce qui est le cas de tous les pays de l’Union européenne, sauf la Finlande) devront rembourser chaque année dès l’entrée en vigueur du traité un vingtième du stock de la dette ?

J’attends de voir le pacte dans son intégralité. Il ne faut pas extirper une mesure de ses paramètres. Dans le pacte de Maastricht, les 60% de dette publique et 3% de déficit avaient été décidé à partir d’hypothèses concernant la croissance potentielle et le taux d’inflation.


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