Jérôme Kerviel, alors trader "junior" (apprenti), avait spéculé après les attentats terroristes de Londres sur le titre de l'assureur Allianz, engageant 15 millions d'euros alors qu'il était limité à un million, a raconté mercredi à son procès le trader Alain Declerck, qui était chargé de le superviser.

Kerviel a gagné 500.000 euros et a pu ensuite continuer, devenant trader titulaire et finissant début 2008 par accumuler 50 milliards d'euros de positions, qui ont finalement fait perdre 4,9 milliards d'euros à la Société générale.

L'incident de 2005 n'a pas provoqué de sanction, a confirmé Alain Declerck. "Il y a eu une réunion. Il n'avait absolument pas le droit de faire ça. C'était très mal. Je lui ai dit que s'il recommençait, il serait viré", a assuré le témoin.

A l'instruction, Jérôme Kerviel n'avait pas donné la même version, affirmant que l'incident avait été accepté avec encore moins de problèmes car il avait gagné de l'argent. Il soutient donc que la banque l'a en fait encouragé implicitement.

Le président du tribunal a commenté ironiquement la gestion par la hiérarchie de la banque de cet incident crucial de 2005. "Aucune sanction ? 15 millions de positions et aucune sanction, c'est gentil."

Alain Declerck a reconnu que les prises de position en tendance dites "directionnelles", non couvertes comme le veut la pratique du métier "d'arbitragiste" par des positions inverses sur le même produit, étaient pratiquées par les traders.

Selon lui, cependant, ces pratiques irrégulières étaient limitées à cinq millions d'euros. La défense de Jérôme Kerviel soutient que ces limites étaient beaucoup plus floues.

Elle en veut pour preuve que la banque n'avait instauré aucune limite d'engagement en volume, si bien que Jérôme Kerviel avait pu engager l'équivalent de près de deux fois les fonds propres de la banque, au risque de faire exploser l'ensemble du système.

KERVIEL DANS LES CORDES

Les magistrats avaient auparavant poussé Jérôme Kerviel dans les cordes en l'interrogeant avec insistance sur ses opérations fictives qui lui ont permis de prendre des positions vertigineuses sur les marchés financiers.

Le jeune homme de 33 ans, pressé de questions pendant près de trois heures par le tribunal et par les trois avocats de la SocGen, a reconnu que ses positions étaient "débiles", mais il a campé sur sa ligne de défense en répétant que la banque connaissait parfaitement ses activités.

Pour la Société générale, partie civile, les opérations fictives de Jérôme Kerviel ont masqué ses véritables positions directionnelles sur les marchés. Jérôme Kerviel continue à soutenir qu'il ne s'agissait que de faire gagner de l'argent à la banque.

"Ce n'était pas pour défier le système", se défend-il. "J'étais dans une spirale", dit-il pour justifier ses prises de positions.

"Spirale? Spirale? Mais dans la spirale, vous entraînez la banque", réplique le président du tribunal, Dominique Pauthe. "Est-ce que le rôle d'un trader ce n'est pas d'être calculateur?", demande-t-il avec une pointe d'ironie.

Poursuivi pour "faux, usage de faux, abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique", Jérôme Kerviel encourt jusqu'à cinq ans de prison et 375.000 euros d'amende.

Jérôme Kerviel a été qualifié à l'audience de "faussaire" par le président, qui s'est montré irrité par son attitude et sa manière de parler fuyante.

"Vous parlez vite. C'est exécrable", a-t-il dit.

Matthieu Protard et Thierry Lévêque, édité par Gérard Bon