par Samia Nakhoul

LE CAIRE, 30 janvier (Reuters) - Des villes livrées à la violence, une économie à genoux, une monnaie au bord de l'effondrement et un fossé politique béant entre un pouvoir islamiste et une opposition disparate : deux ans après le renversement d'Hosni Moubarak, l'Egypte peine toujours à se définir un avenir.

Autrefois toute puissante, l'armée a fait part cette semaine de ses inquiétudes après les violents affrontements entre manifestants et policiers à Port-Saïd, Suez et Ismaïlia, le long du canal de Suez.

Son chef d'état-major, le général Abdel Fattah al Sissi, également ministre de la Défense, a prévenu que la poursuite du conflit entre les forces politiques risquait de conduire à "l'effondrement de l'Etat".

"L'armée va-t-elle intervenir aux côtés du peuple d'Egypte ?", s'est interrogé sur Twitter Ahmed Saïd, membre du Parti des Egyptiens libres, un mouvement libéral fondé en 2011.

Pour la plupart des observateurs, la mise en garde du chef de l'armée n'annonce en rien une volonté d'intervenir directement sur le terrain politique.

Plusieurs officiers supérieurs ont dit à Reuters que l'armée ne cherchait qu'à garantir la sécurité du pays et à contenir les violences qui ont touché plusieurs grandes villes.

Les Etats-Unis, qui fournissent chaque année une aide militaire de 1,3 milliard de dollars à l'Egypte, ont clairement dit que les désordres des derniers jours étaient inacceptables.

Deux ans après la "Révolution du Nil", qui avait suscité tant d'espoirs dans la population, la situation ne n'est pas améliorée, au contraire. Instabilité politique et sociale, chômage, hausse des prix des denrées de base sont venus s'ajouter aux violences politiques.

CLIMAT DE MÉFIANCE

Depuis le soulèvement de l'hiver 2011 qui a mis fin à trente ans de règne du "raïs" Hosni Moubarak, les Frères musulmans ont remporté deux référendums, deux élections législatives et un scrutin présidentiel.

Mais la prise du pouvoir par les islamistes a frustré les partis libéraux et laïques, une opposition très divisée qui se demande comment faire entendre sa voix.

Le président Mohamed Morsi, issu du mouvement des Frères musulmans, a jeté de l'huile sur le feu à la fin de l'an dernier en s'arrogeant un temps des pouvoirs étendus dans l'attente de l'élection d'un nouveau Parlement. Il a ensuite fait machine arrière pour tenter de calmer la rue.

Le chef de l'Etat avait invité l'opposition à reprendre le dialogue lundi dernier, mais cet appel a été largement ignoré.

Ses adversaires ont réclamé la constitution d'un gouvernement d'union nationale et une réforme de la Constitution - en clair, un appel à la démission de Morsi.

"Je pense que la méfiance est telle que même si les Frères musulmans font des gestes de bonne volonté, il est probable que l'opposition n'y croira pas vraiment", dit Chadi Hamid, directeur de recherches au Brookings Doha Center.

"L'atmosphère est si viciée que la transition s'annonce très difficile. Je vois mal comment on pourrait réparer tout le mal qui a été fait", ajoute-t-il.

L'impasse fait craindre dans certains milieux une intervention de l'armée. Mais la Constitution actuelle, largement inspirée par les islamistes, préservant les intérêts économiques des militaires et leur influence politique, quel intérêt auraient les chefs militaires à vouloir reprendre les rênes du pouvoir ?

MESURES D'AUSTÉRITÉ

A moins que ne se produise un autre soulèvement populaire, qui remettrait l'armée au centre du jeu politique.

Peu après son élection à la présidence en juin, Mohamed Morsi a écarté le conseil militaire qui dirigeait le pays depuis la chute de Moubarak.

Mais l'armée occupe toujours une place de premier plan et a ainsi convaincu le président de décréter dimanche l'état d'urgence, pour un mois, à Port-Saïd, Suez et Ismaïlia.

Un putsch, soulignent des analystes, semble toutefois peu probable - les chefs de l'armée ne veulent pas ternir leur image et répugnent à reprendre la direction des affaires en cette période difficile qui nécessitera des mesures économiques sûrement impopulaires.

Le Caire attend toujours un prêt de 4,8 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI), qui ne sera débloqué qu'en échange de mesures d'austérité draconiennes.

L'instabilité politique et la poursuite des violences - deux hommes ont été tués par balles mercredi, près de la place Tahrir au Caire - éloignent investisseurs et touristes, un secteur essentiel pour le pays, ce qui ne laisse pas présager une amélioration rapide de la situation

Pour Simon Kitchen, expert en investissements à la banque EFG-Hermes, l'impasse politique entre Mohamed Morsi et l'opposition paralyse toute décision.

"L'Egypte est financièrement tenue à bout de bras par le Qatar mais cela ne fait qu'arrêter l'hémorragie... L'argent n'arrive plus dans le pays", dit-il. (Avec Marwa Awad, Guy Kerivel pour le service français, édité par Gilles Trequesser)