par Ben Blanchard et J.R. Wu

PEKIN/SINGAPOUR, 6 novembre (Reuters) - Les présidents chinois Xi Jinping et taïwanais Ma Ying-jeou doivent se rencontrer, ce samedi à Singapour, pour un échange de vues sur les relations de part et d'autre du détroit de Taïwan.

Ce sera un moment historique, une première entre dirigeants des deux entités depuis la fin de la guerre civile en 1949, marquée par la victoire des communistes en Chine continentale et le retrait des nationalistes sur l'ancienne Formose.

Les discussions qu'auront les deux hommes précéderont d'un peu plus de deux mois les élections présidentielle et législatives du 16 janvier à Taïwan, pour lesquelles le Parti démocrate progressiste (DPP), partisan de l'indépendance, part favori, ce que Pékin veut à tout prix éviter.

Aucun accord ne devrait être conclu lors de cette entrevue haute en symbole, qui se tiendra en terrain "neutre", dans un hôtel chic de Singapour. Mais la poignée de mains qui ne manquera pas d'être immortalisée par les photographes arrivera à un moment où Xi Jinping cherche à se faire une place parmi le panthéon des grands dirigeants de la Chine et où Ma Ying-jeou, qui quittera ses fonctions l'an prochain en raison de la limitation du nombre de mandats, cherche à redorer son blason malgré la montée du sentiment anti-Pékin à Taïwan.

"Les compatriotes des deux rivages du détroit de Formose attendent avec impatience cette rencontre et tout le monde en parle longuement, avantageusement", écrivait vendredi le Quotidien du peuple, l'organe officiel du comité central du Parti communiste chinois (PCC).

Ma et Xi se verront dans le courant de l'après-midi. Les deux parties tiendront des conférences de presse après un bref tête à tête à huis-clos, suivi par un dîner avant que Ma ne reparte pour Taipeh le même jour.

La candidate du DPP à la présidence, Tsai Ing-wen, a dénoncé le manque de transparence entourant cette rencontre.

UNE SEULE CHINE, SELON PEKIN

"Je crois que les habitants du pays ont été, comme moi, très surpris", a-t-elle déclaré à la presse. "Informer les gens d'une manière aussi précipitée et chaotique est dommageable pour la démocratie taiwanaise", a-t-elle ajouté.

Quant à Chao Tien-lin, directeur du département des affaires chinoises au sein du DPP, il estime que Ma ne doit pas "brader et sacrifier les intérêts de Taïwan". "Il doit répondre aux attentes de la démocratie et de l'opinion publique taïwanaises. C'est ce qui compte avant tout", dit-il.

Selon les analystes politiques, Pékin pourrait chercher à peser sur le résultat des élections taïwanaises en faisant passer le message que les relations entre les deux voisins, qui se sont légèrement détendues dans les domaines de l'économie et du tourisme, continueront à s'améliorer si le parti nationaliste, le Kuomintang, reste au pouvoir.

C'est au point que le porte-parole du DPP, Cheng Yun-peng, a jugé "suspecte" la date choisie pour ce sommet historique, estimant que Ma Ying-jeou cherche à favoriser la candidate de son parti.

Mais certains commentateurs estiment que la manoeuvre pourrait se retourner contre le Kuomintang, qui a subi une déroute lors des élections municipales l'an dernier, de nombreux Taïwanais, en particulier les jeunes, s'inquiétant de l'influence de Pékin.

Pékin considère Taïwan comme une province sécessionniste qu'elle s'estime en droit de reprendre, par la force si nécessaire. La Chine, qui entretient de bonnes relations avec Singapour, juge qu'il n'existe qu'une seule Chine à laquelle appartient Taïwan.

Singapour conserve parallèlement une relation étroite bien qu'informelle avec Taïwan, qui a signé un pacte de libre échange avec la cité-Etat en 2013. (Jean-Stéphane Brosse, Henri-Pierre André, Tangi Salaün et Eric Faye pour le service français)