Bertrand Benoit,

The Wall Street Journal

Quelle ironie! L'Allemagne, principal opposant au nouveau programme d'assouplissement quantitatif (QE) de la Banque centrale européenne (BCE), devrait tirer des bénéfices immédiats de cette initiative.

En Allemagne, le programme d'achats d'actifs de la BCE a été accueilli froidement à la fois par les milieux politiques et le grand public. Pourtant, le pays réunit les meilleures conditions possibles en Europe - une économie axée sur l'exportation, des banques bien capitalisées et un marché du travail vigoureux - pour assurer la transmission des politiques accommodantes de la BCE au crédit, à l'investissement et à la production.

Des effets secondaires très surveillés

Le président de la très conservatrice Bundesbank, Jens Weidmann, pense toutefois que les importantes mesures de relance adoptées par la BCE ne parviendront pas à résoudre les problèmes d'endettement et de compétitivité de la zone euro. Les avantages du QE paraissent bien maigres comparés aux risques à long terme, ajoutent les critiques, nombreux en Allemagne.

"L'Allemagne a toujours eu une vision de long terme et s'est toujours montrée critique à l'égard des effets secondaires et tertiaires" des politiques mises en oeuvre, explique Dirk Schumacher, économiste senior pour l'Europe chez Goldman Sachs. "Les autres ont tendance à dire: 'on gérera les effets secondaires plus tard'."

Les marchés allemands ont salué l'initiative de la BCE.

L'indice phare de la Bourse de Francfort, le DAX 30, s'est apprécié de près de 10% depuis le début de l'année 2015 et a gagné presque 5% depuis que le programme d'assouplissement quantitatif a été dévoilé par la BCE, le 22 janvier. L'attente du programme d'achats d'obligations a permis une importante hausse des emprunts d'Etat allemands. Les annonces de la BCE ont également eu des effets importants sur l'euro. La monnaie unique a perdu plus de 15% face au dollar au cours des six derniers mois et vaut désormais 1,13 dollar environ. Ce repli devrait soutenir les exportateurs allemands.

Le QE profitera deux fois plus à l'Allemagne qu'à la France

Selon un modèle théorique tenant compte d'une baisse de 10% de l'euro face à un panier de devises, l'économie de la zone euro, qui pèse 11,5 milliards d'euros, gagnerait 0,3 point de pourcentage de produit intérieur brut (PIB), estime Carsten Brzeski, économiste chez ING Bank.

Les effets divergeraient toutefois selon les pays. L'Allemagne et les Pays-Bas, qui exportent beaucoup en dehors de la zone euro, seraient les principaux bénéficiaires, avec un gain d'au moins 0,5 point de pourcentage de PIB. Les économistes de Nomura estiment que l'Allemagne profiterait deux fois plus que la France de la dépréciation de l'euro.

Selon Gert Peersman, un professeur d'économie à l'Université de Ghent en Belgique, une hausse de 2% de la quantité d'actifs détenus par la BCE augmenterait le PIB allemand de 0,3%, soit deux fois plus que celui de l'Espagne ou de l'Italie. L'explication tient au fait que les banques allemandes sont mieux capitalisées que bien des banques européennes, ce qui leur laisse une marge de manoeuvre plus importante pour prêter des fonds.

Les ménages allemands semblent eux aussi bien placés pour mettre à profit la générosité de la BCE pour dépenser davantage.

L'immobilier a le vent en poupe

Les autres classes d'actifs allemands devraient également bénéficier des largesses de la banque centrales. Les prix de l'immobilier outre-Rhin ont reculé entre 2001 et 2007, mais affichent désormais une hausse de 10% par an dans certaines villes. L'endettement des ménages restant faible, la progression pourrait se poursuivre.

Les opposants allemands aux mesures de la BCE affirment que cette augmentation des prix des actifs aura un effet limité. Seule la moitié des ménages allemands est propriétaire de son logement. Et si les emprunts d'Etat à faible rendement restent populaires, les actions sont de moins en moins en vogue.

C'est une des raisons pour lesquelles de nombreux Allemands s'opposent au QE. Les deux tiers les moins aisés de la population allemande placent leurs économies sur des comptes d'épargne, explique le Professeur Marcel Fratzscher, qui dirige l'institut de recherche économique DIW à Berlin et est l'un des rares économistes allemands reconnus à avoir salué l'annonce de la BCE. "Compte tenu des taux d'intérêt actuels, il est impossible pour eux d'accumuler de la richesse."

-Bertrand Benoit, The Wall Street Journal (Josie Cox a contribué à cet article)

(Version française Valérie Venck)