* La Russie estime que le texte n'était pas impartial

* Les Occidentaux ont tenté de dissuader Moscou et Pékin jusqu'au dernier moment

* La France propose de créer un "groupe des amis du peuple syrien"

par Patrick Worsnip et Louis Charbonneau

NATIONS UNIES, 5 février (Reuters) - La Russie et la Chine ont opposé samedi leur veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l'Onu sur la Syrie qui aurait soutenu le plan de la Ligue arabe appelant à la mise à l'écart du président Bachar al Assad et à la formation d'un gouvernement d'union nationale avant la tenue d'élections.

Treize des quinze membres du Conseil de sécurité ont voté en faveur de ce texte dont l'élaboration avait donné à d'intenses tractations diplomatiques et dont la mise aux voix survenait quelques heures à peine après le massacre de 200 à 260 civils à Homs, selon des groupes proches de l'opposition syrienne.

Mais la Russie et la Chine ont bloqué son adoption. En octobre dernier, ces deux membres permanents du Conseil de sécurité avaient déjà utilisé leur droit de veto pour rejeter un précédent texte qui appelait à la fin de la répression et des violations des droits de l'homme menées par les autorités syriennes.

Les Russes ont fait valoir que la résolution était biaisée et qu'elle visait exclusivement le président syrien et non ses adversaires armés.

Mais leur décision a été vivement dénoncée par leurs partenaires.

L'ambassadrice des Etats-Unis, Susan Rice, a largement ignoré l'habituel langage diplomatique, se déclarant "dégoûtée" par le double veto. "Ceux qui se sont opposés à cette résolution ont refusé cette dernière chance de mettre fin à la brutalité d'Assad par des moyens pacifiques sous les auspices de la Ligue arabe. Ils auront sur leur mains tout sang qui coulera à nouveau," a-t-elle ajouté.

Mohammed Loulichki, ambassadeur du Maroc à l'Onu et seul représentant d'un pays arabe du Conseil de sécurité, a fait part de "son grand regret et de sa grande déception".

LA FRANCE PROPOSE UNE NOUVELLE INITIATIVE

L'ambassadeur de France à l'Onu, Gérard Araud, a parlé d'"un triste jour pour ce Conseil, un triste jour pour les Syriens, un triste jour pour tous les amis de la démocratie".

"Le père tuait massivement, le fils en fait autant. L'horreur est héréditaire à Damas", a-t-il ajouté en évoquant l'anniversaire du massacre de 1982 à Hama et les événements survenus dans la nuit de vendredi à samedi à Homs où, selon des organisations de l'opposition, les forces syriennes ont tué plus de 200 personnes, un bilan sans précédent depuis le début du mouvement de protestation (voir ).

Après ce lourd revers diplomatique, le président français Nicolas Sarkozy a proposé samedi soir la formation d'un "groupe des amis du peuple syrien" en Europe et dans le monde arabe pour favoriser une solution.

"La France ne se résigne pas. Elle se concerte avec ses partenaires européens et arabes afin de créer un 'Groupe des amis du peuple syrien' qui aura pour objectif d'apporter tout l'appui de la communauté internationale à la mise en oeuvre de l'initiative de la Ligue arabe", a annoncé l'Elysée dans un communiqué. (voir )

AMENDEMENTS RUSSES JUGÉS INACCEPTABLES

Jusqu'au dernier moment, des tractations s'étaient poursuivies pour tenter de convaincre la Russie de ne pas bloquer l'adoption du texte.

S'exprimant à Munich en marge de la conférence annuelle sur la sécurité, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a reconnu cependant qu'il n'avait pas été possible de résoudre les différends avec la Chine et la Russie malgré l'inscription d'un rejet explicite d'une intervention militaire dans la résolution.

"Je pensais qu'il aurait pu y avoir une manière de répondre, même au dernier moment, aux inquiétudes des Russes. J'ai proposé de travailler de manière constructive pour y parvenir. Ça n'a pas été possible", a dit Clinton qui s'était entretenue dans l'après-midi avec son homologue russe Sergueï Lavrov.

Après des échanges qualifiés de "vifs" entre Clinton et Lavrov, Moscou a annoncé que son ministre des Affaires étrangères et son chef du renseignement extérieur allaient se rendre à Damas pour rencontrer Assad, mardi. Le but de la visite n'a pas été précisé.

Avant que le Conseil de sécurité se réunisse, le chef de la diplomatie russe avait mis en garde contre le "scandale" que provoquerait le vote si le texte était gardé en l'état et réclamé des concessions sous peine d'utiliser son droit de veto.

Mais les amendements réclamés par Moscou ont été rejetés par les diplomates européens et jugés inacceptables par l'ambassadrice des Etats-Unis à l'Onu, Susan Rice.

Par ces amendements, consultés par Reuters, la Russie souhaitait notamment que l'opposition syrienne soit condamnée au même titre que le régime pour les violences. "Nos amendements ne réclament pas d'efforts extrêmes", avait dit Lavrov.

OBAMA ET LA "BRUTALITÉ IMPITOYABLE" DU RÉGIME SYRIEN

Peu avant le vote, Barack Obama avait jugé que le Conseil de sécurité de l'Onu, à la lumière des massacres signalés la nuit précédente à Homs, devait se dresser contre la "brutalité impitoyable" des autorités syriennes, illustrée par l'"attaque épouvantable" menée dans ce bastion de la contestation.

"Le Conseil a maintenant l'occasion de s'élever contre la brutalité impitoyable du régime d'Assad et de prouver qu'il est un défenseur crédible des droits universels qui sont inscrits dans la charte des Nations unies", a-t-il écrit dans un communiqué. (voir )

A Paris, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, avait exhorté la Russie, sans la nommer, à accepter le projet de résolution. Accusant les autorités d'avoir "franchi un pas supplémentaire dans la sauvagerie" et voyant dans le massacre de Homs un "crime contre l'humanité", il estimait que "ceux qui freineraient l'adoption d'une telle résolution prendraient une lourde responsabilité devant l'histoire". (voir )

Le régime syrien a démenti être à l'origine de ces bombardements. L'ambassadeur de Damas aux Nations unies, Bachar Djaafari, a déclaré qu'"aucune personne sensée" n'aurait lancé une telle attaque la nuit précédant un vote au Conseil de sécurité.

RENVOI

Pour retrouver la CHRONOLOGIE de la crise syrienne, double-cliquer sur (avec Arshad Mohammed à Washington et Thierry Lévêque à Paris; Jean-Philippe Lefief, Marine Pennetier et Henri-Pierre André pour le service français)