* La Turquie dénonce un crime de guerre russe

* Ankara s'alarme de la progression des milices kurdes

* Des positions des YPG bombardées pour le troisième jour

* L'émissaire spécial de l'Onu en visite à Damas

par Ercan Gurses et Suleiman Al-Khalidi

KIEV/BEYROUTH, 16 février (Reuters) - La Turquie a accusé lundi la Russie de crime de guerre dans le nord de la Syrie après la mort d'une cinquantaine de civils dans une série de frappes aériennes, tout en prévenant les milices kurdes syriennes qu'elles devraient s'attendre à une "réaction des plus sévères" si elles cherchaient à s'emparer de la ville d'Azaz, proche de sa frontière.

Au moins cinq installations médicales et deux écoles situées dans les zones sous contrôle rebelle ont subi des bombardements qui ont coûté la vie à près de cinquante civils, selon un bilan fourni par les Nations unies, qui ont dénoncé dans ces raids une violation flagrante du droit international.

Quatorze personnes ont été tuées à Azaz, dernier bastion de la rébellion à 8 km de la frontière avec la Turquie. Des missiles ont frappé un hôpital pour enfants et une école abritant des réfugiés, ont déclaré un travailleur de santé et deux habitants.

A Marat Nouman, dans la province d'Idlib (nord-ouest), une autre attaque aérienne a frappé un hôpital soutenu par Médecins sans frontières (MSF) et fait sept morts et huit disparus.

Le ministère turc des Affaires étrangères a accusé la Russie de commettre un "crime de guerre évident".

Mais la ministre russe de la Santé, Veronika Skvortsova, a assuré que les raids aériens russes visaient des infrastructures du groupe Etat islamique et dit n'avoir aucune raison de croire que des sites civils aient été bombardés par la Russie dans la province d'Idlib. "Cela contredit notre idéologie", a-t-elle déclaré à Genève.

L'ambassadeur de Russie à Damas a déclaré que ces pilonnages étaient le fait de l'aviation américaine.

A Washington, la conseillère à la sécurité nationale des Etats-Unis, Susan Rice, a condamné "dans les termes les plus fermes" l'escalade des bombardements dans le nord de la Syrie, ajoutant qu'ils allaient à l'encontre des engagements pris vendredi dernier à Munich par les grandes puissances en faveur d'une "cessation des hostilités".

AVERTISSEMENT DE LA TURQUIE AUX MILICES KURDES

Pour la troisième journée consécutive, l'artillerie turque a bombardé lundi des positions des YPG en Syrie à la suite d'une attaque contre un poste-frontière de la province d'Hatay, a annoncé le ministère turc des Affaires étrangères.

Le Conseil de sécurité des Nations unies se réunira mardi matin à la demande de la Russie pour débattre du bombardement par la Turquie de cibles en Syrie.

Les YPG (Unités de protection du peuple), soutenues par les Etats-Unis, sont liées au Parti kurde de l'Union démocratique (PYD), qu'Ankara tient pour une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et considère à ce titre comme une organisation terroriste.

La Turquie redoute que les YPG, soutenues par la Russie, cherchent à s'emparer de la dernière bande de territoire le long de la frontière syro-turque, longue d'une centaine de km, qui ne soit pas encore sous leur contrôle.

"Nous ne permettrons pas la chute d'Azaz", a dit Ahmet Davutoglu dans l'avion qui le conduisait en visite en Ukraine. "Des éléments des YPG ont été contraints de se retirer des environs d'Azaz. S'ils reviennent, la réaction sera des plus sévères."

Les combattants kurdes, a-t-il poursuivi, doivent aussi se retirer de la base aérienne de Menagh, au nord d'Alep, dont ils ont pris le contrôle, faute de quoi cette base sera rendue "inutilisable".

L'accord mis au point à Munich par le Groupe international de soutien à la Syrie (GISS) doit théoriquement entrer en vigueur en fin de semaine. Il doit permettre une cessation des hostilités et l'acheminement d'une aide humanitaire.

L'envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, est arrivé lundi à Damas où il rencontrera mardi le ministre des affaires étrangères syrien Walid Moualem.

Mais des déclarations de Bachar al Assad ont encore un peu plus semé la confusion sur l'application de l'accord, le président syrien déclarant lundi soir qu'un cessez-le-feu ne signifie pas que chaque partie impliquée dans le conflit syrien aura à stopper l'usage des armes.

Lors d'une conférence de presse à Kiev, Ahmet Davutoglu a dit douter de l'engagement de Moscou en faveur d'une cessation des hostilités, estimant que les Russes poursuivraient quoi qu'il arrive leurs frappes aériennes en soutien de Damas.

"Ils veulent laisser seulement deux options à la communauté internationale: Daech (EI) ou Assad", a déclaré le Premier ministre turc.

Le ministre turc de la Défense, Ismet Yilmaz, a affirmé que la Turquie n'avait pas envoyé de troupes en Syrie et n'envisageait pas de le faire, contrairement à ce qu'affirme Damas.

"Ce n'est pas vrai", a-t-il déclaré devant une commission parlementaire. "Il n'est aucunement question que des soldats turcs entrent en Syrie."

Selon le gouvernement syrien, des forces terrestres turques faisaient partie d'un groupe de 100 hommes entrés en Syrie samedi à bord de 12 véhicules tout-terrain équipés de mitrailleuses lourdes pour venir en aide aux insurgés. (Avec Lisa Barrington à Beyrouth, Humeyra Pamuk à Istanbul, Tulay Karadeniz, Orhan Coskun et Ece Toksabay à Ankara, Stephanie Nebehay à Genève, Jack Stubbs à Moscou; Guy Kerivel, Henri-Pierre André et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)