* La faiblesse de l'inflation complique la tâche de la Fed et de la BCE

* La vigueur de l'euro préoccupe Mario Draghi

* Deux statistiques sur l'inflation attendues dans les prochains jours aux Etats-Unis

* La Corée du Nord et les ouragans pèsent sur les marchés

par Patrick Vignal

PARIS, 11 septembre (Reuters) - C'est la rentrée pour les grandes banques centrales avec l'inflation dans le rôle du mauvais élève qui refuse obstinément de décoller, perturbant les volontés de resserrement monétaire sur les deux rives de l'Atlantique.

Avec le retour de la croissance dans la zone euro comme aux Etats-Unis, la plupart des conditions sont pourtant réunies pour que la Réserve fédérale américaine (Fed) poursuive le durcissement de sa politique et que la Banque centrale européenne (BCE) enclenche une sortie de son programme d'assouplissement quantitatif (QE).

La plupart, mais pas l'inflation, qui se maintient sous le seuil fatidique de 2% et pose un casse-tête aux responsables de la Fed comme de la BCE, qui ont fait de la stabilité des prix l'une de leurs missions prioritaires.

Le président de la BCE, Mario Draghi, a un problème particulier : la vigueur de l'euro, qui pèse sur les pressions inflationnistes et menace en outre de freiner la croissance de la zone euro.

Il avait omis de mentionner cet aspect le mois dernier lors du symposium économique de Jackson Hole, ce qui avait conduit l'euro à s'apprécier de plus belle face au billet vert.

Il en a parlé cette fois-ci, après l'annonce jeudi par l'institution de Francfort du maintien de sa politique accommodante, même si elle garde le cap sur un ralentissement de ses rachats d'actifs dont les modalités pourraient être présentées en octobre.

L'EURO GRIMPE ENCORE

La BCE a abaissé ses perspectives d'inflation pour les deux prochaines années pour tenir compte de l'appréciation de l'euro, qui sera prise en compte par la banque centrale pour déterminer sa politique, a dit Mario Draghi lors de la traditionnelle conférence de presse qui suit l'annonce des décisions monétaires.

Tandis qu'il parlait, la devise européenne repassait la barre de 1,20 dollar pour porter sa hausse par rapport au billet vert depuis le début de l'année à plus de 14%.

"Si l'intention de Mario Draghi était de poser un couvercle sur l'euro, c'est un échec de dimension abyssale", résume l'analyste Michael Hewson (CMC Markets).

L'euro monte notamment parce que le dollar baisse, en raison principalement des doutes sur la capacité de Donald Trump à faire passer les réformes d'allègement de la fiscalité, de relance budgétaire et de dérégulation financière qu'il avait promises aux marchés pendant sa campagne.

L'indice dollar, qui mesure le billet vert face à un panier de devises de référence dont l'euro, est ainsi en recul de près de 11% depuis le début de l'année.

Si le dollar et l'euro suivent des trajectoires diamétralement opposées, l'inflation préoccupe tout autant les responsables de la Fed que ceux de la BCE.

Le dernier "Livre beige" que vient de publier la banque centrale américaine reconnaît ainsi que les signes d'une accélération de l'inflation sont restés faibles aux Etats-Unis.

Malgré un taux de chômage très bas et une croissance continue de l'activité, l'indice des prix à la consommation dit "PCE core" - l'indicateur privilégié par la Fed pour mesurer l'inflation - a reculé à 1,4% sur un an en juillet, son plus faible niveau depuis plus d'un an et demi, notamment parce que la courbe des salaires refuse de suivre celle de l'emploi.

SORTIR DU QE, TANT BIEN QUE MAL

Face à cette situation, plusieurs responsables de la Fed ont prôné la prudence dans la poursuite du resserrement.

La Fed a relevé ses taux directeurs par deux fois cette année. Une troisième hausse était en attendue à la fin de l'année mais le marché se montre désormais sceptique, estimant à un peu plus de 30% seulement la probabilité d'un nouveau relèvement en décembre, selon le baromètre FedWatch de CME Group.

Les grandes banques centrales, dont le mandat s'est considérablement élargi depuis la crise financière, n'ont pourtant d'autre choix que de poursuivre tant bien que mal dans la voie de la normalisation, ne serait-ce que pour se préparer à la prochaine crise, qui finira bien par survenir, font valoir de nombreux analystes.

"La politique de sortie est un art délicat", souligne Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez Candriam. "Elle a commencé par la Fed et devrait se poursuivre par la BCE. Il serait naïf de croire qu'elle est purement liée au taux d'inflation."

Pour les stratèges de Lazard Frères Gestion, les banques centrales doivent arbitrer entre leur objectif d'inflation et le risque qu'une politique toujours accommodante ne cause des excès dans le secteur financier.

"La Fed américaine va très probablement annoncer dans les prochaines semaines qu'elle va commencer à réduire la taille de son portefeuille de titres lié à son QE et poursuivre par la suite les remontées de taux", écrivent-ils dans une note. "De son côté, la BCE va probablement commencer à réduire ses achats au début 2018 mais elle sera très prudente."

En attendant la prochaine réunion monétaire de la Réserve fédérale, les 19 et 20 septembre, les marchés seront particulièrement attentifs à deux indicateurs de l'inflation aux Etats-Unis : l'indice des prix à la production (PPI), mercredi, et celui des prix à la consommation (CPI), le lendemain.

UN ESSAI NUCLÉAIRE, DEUX OURAGANS

Toujours sur le front des banques centrales, la Banque nationale suisse (mercredi) et la Banque d'Angleterre (BoE) (jeudi) tiendront parallèlement des réunions monétaires. La BoE, qui a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour 2017 et 2018 en raison des effets du Brexit sur le pouvoir d'achat des ménages, ne devrait pas toucher à son taux directeur avant 2018, pense-t-on sur les marchés.

Si le marché des changes a réagi vivement aux annonces de la BCE, les Bourses ont accueilli l'événement avec une relative sérénité.

Il est vrai qu'elles en avaient vu d'autres, avec un nouvel essai nucléaire de la Corée du Nord, plus puissant que les précédents, et les ouragans qui avancent les uns derrière les autres dans l'Atlantique. De quoi réduire l'appétit des investisseurs pour les actifs risqués et entraîner un regain de volatilité sur les marchés actions.

Après avoir semé le chaos dans les Antilles, Irma menace les côtes de la Floride, quelques jours après la tempête tropicale Harvey qui a fait 60 morts au Texas et en Louisiane, laissant des dégâts estimés à 180 milliards de dollars qui pourraient amputer la croissance des Etats-Unis sur le trimestre en cours, voire également sur le suivant.

"Si Irma fait autant de dégâts, on aurait donc une facture Harvey + Irma comparable à celle de Katrina. L'impact sur la croissance pourrait être bien plus large que le 0,2-0,3 (point de pourcentage) initialement estimé après le passage de Harvey", écrivent dans une note les stratèges de la Banque postale Asset Management.

(édité par Blandine Hénault)