Zurich (awp/ats) - Voici bientôt quinze ans, le 2 octobre 2001, la flotte de la compagnie aérienne Swissair, acculée par les dettes, était clouée au sol. Depuis, son héritière Swiss a trouvé sa vitesse de croisière au sein du géant Lufthansa, laissant peu de place à la nostalgie.

"Le grounding reste un événement triste de l'histoire économique de la Suisse, mais nous en avons tiré des leçons", analyse Andreas Wittmer, expert en transports aériens à l'université de St-Gall. "Nous avons appris que toute entreprise, quelle que soit sa réputation - même celle que l'on appelait jadis la banque volante - peut faire faillite".

Faut-il encore soupirer après le mythe Swissair? Pour Andreas Wittmer, la filiale à la croix blanche du géant allemand reste "LA" compagnie aérienne nationale. "Pour une nation d'exportations comme la Suisse, il est essentiel de pouvoir décider librement sur nos destinations. C'est le cas au sein de Lufthansa."

Certes, avec la démocratisation des transports aériens, la qualité générale des services a décliné, observe l'expert. A ses yeux toutefois, Swiss sort du lot comparé à la maison-mère et se démarque aussi des concurrents du Moyen-Orient par sa constance.

Stratégie du chasseur

La deuxième leçon, pour Andreas Wittmer, est d'avoir ramené l'entreprise à des dimensions durables, y compris ses structures de gouvernance. Dans l'industrie aérienne, le modèle PME ne fonctionne pas, la taille critique est déterminante. C'est aussi ce que le transporteur, handicapé par un marché domestique réduit, a trouvé avec le numéro un européen du secteur, et Star Alliance, le plus important réseau mondial.

Car le réseau, précisément, a joué un rôle-clé dans la débâcle. Dès 1997, la holding SAirGroup chapeaute l'ensemble des activités de Swissair. Sous la houlette de Philippe Bruggisser, elle lance une politique agressive d'acquisitions et alliances pour éviter l'isolement de la compagnie, privée d'accord aérien avec Bruxelles suite au "non" des Suisses en 1992 à l'Espace économique européen.

Après une participation dans la belge Sabena dès 1995, suivront diverses compagnies nationales et régionales, pour la plupart, en mal d'assainissement. Mais la "stratégie du chasseur" plombe le groupe et début 2001, Philippe Bruggisser est limogé.

Moritz Suter, fondateur et patron de la filiale Crossair, pilote brièvement SAirlines, qui regroupe toutes les opérations aériennes. Après la démission de l'ensemble du conseil d'administration présidé par Eric Honneger, Mario Corti, chef des finances de Nestlé et unique administrateur-délégué de Swissair, prend les commandes en mars 2001.

Plans de sauvetage

Présidée par Marcel Ospel, UBS, qui garantit de longue date les paiements des opérations quotidiennes de Swissair, attend des mesures drastiques de Mario Corti. Y compris la vente de filiales, révélera René Lüchinger, auteur de "Swissair - Mythos & Grounding" (Editions Scalo, Zurich). Les deux patrons ne cesseront par la suite de se renvoyer la balle.

Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis portent un nouveau coup à l'industrie, alors que SAirGroup accuse une perte annuelle de 2,9 milliards de francs suisses sur l'exercice précédent. Le 29 septembre, Mario Corti tire la sonnette d'alarme, mais le Conseil fédéral refuse sa garantie financière sans plan de restructuration.

A ce moment, l'ampleur de l'assainissement devient claire et les plans de sauvetage se succèdent. Le 1er octobre, Crossair avale Swissair, sous le contrôle d'UBS et Credit Suisse Group. Le sursis concordataire est annoncé pour SAirGroup, SAirLines et Flightlease. La nouvelle entité, aux ambitions réduites, sera dirigée par André Dosé. Près d'un tiers des effectifs de Swissair passent à la trappe.

Immobilisation

Le 2 octobre 2001 peu après midi, à court de liquidités, Swissair doit suspendre ses opérations. La compagnie n'a plus les moyens pour payer son kérosène. Quelque 260 appareils sont immobilisés, laissant 19'000 passagers en rade.

Grâce au crédit de sauvetage du Conseil fédéral et des banques, le service aérien réduit reprend dès le lendemain. Le 31 mars 2002, Swissair disparaît définitivement au terme de 71 années d'existence. La nouvelle compagnie baptisée Swiss Air Lines, prend son envol le 1er avril, puis est vite renommée Swiss International Air Lines.

Rapidement, les surcapacités, la guerre en Irak et le prix élevé des carburants obligent Swiss à réduire ses effectifs et sa flotte de près de moitié. En mars 2005, le groupe Lufthansa rachète Swiss, pour le prix - dévoilé trois ans plus tard - de 339 millions de francs suisses.