(Mastic sur l'heure de l'attaque paragraphe 5)

* 59 missiles Tomahawk ont été tirés sur une base aérienne en Syrie

* La frappe a été ordonnée par Donald Trump en réponse à l'attaque chimique contre Khan Cheikhoune

* A l'été 2013, Obama avait reculé dans un cas semblable

* C'est une agression et c'est illégal, dit le Kremlin

* Réunion du Conseil de sécurité de l'Onu à 15h30 GMT

par Steve Holland, Andrew Osborn et Tom Perry

PALM BEACH, Floride/MOSCOU/BEYROUTH, 7 avril (Reuters) - Les Etats-Unis ont bombardé une base aérienne en Syrie dans la nuit de jeudi à vendredi, trois jours après l'attaque chimique contre un village du nord-ouest de la Syrie, première action militaire directe des Etats-Unis contre le régime syrien de Bachar al Assad en six ans de guerre civile.

Pour sa première grosse crise diplomatique depuis son arrivée à la présidence fin janvier, le républicain Donald Trump a ordonné la mesure que son prédécesseur démocrate Barack Obama n'avait jamais prise: viser directement l'armée syrienne pour son rôle dans l'attaque chimique qui a fait 70 morts, dont de nombreux enfants, mardi dans le village de Khan Cheikhoune.

Cette attaque avait été vivement dénoncée par Washington lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'Onu, l'ambassadrice des Etats-Unis Nikki Haley montrant en séance des photos des victimes.

Une nouvelle réunion du Conseil de sécurité est prévue ce vendredi à 11h30 (15h30 GMT, 17h30 heure de Paris). Cette réunion sera publique, ont indiqué des diplomates.

Deux navires de guerre américains, le USS Porter et le USS Ross croisant en Méditerranée orientale, ont tiré vers 20h40 de la côte Est (00h40 GMT) 59 missiles de croisière Tomahawk contre la base de Chayrat près de Homs au nord de Damas. Cette base a été présentée par le Pentagone comme ayant servi à stocker les armes chimiques utilisées dans l'attaque sur Khan Cheikhoune.

L'armée syrienne a indiqué que six personnes avaient été tuées dans l'attaque et qu'il y avait d'importants dégâts matériels. La télévision publique a diffusé des images et indiqué que neuf appareils avaient été détruits. Elle a aussi fait état de neuf civils tués dans des villages près de la base.

OPÉRATION "PONCTUELLE"

Cette opération place Washington en confrontation directe avec la Russie, qui, en tant que principal allié du président syrien, le soutient par des frappes aériennes depuis septembre 2015 et lui fournit des conseillers militaires. Le Kremlin et la Syrie ont dénoncé une "agression". La Syrie s'est dite encore plus décidée à lutter contre l'insurrection qui est entrée dans sa septième année.

"Pendant des années les tentatives pour changer le comportement d'Assad ont toutes échoué, échoué lamentablement", a déclaré le président Trump en annonçant l'attaque de sa propriété de Mar-a-Lago en Floride où il tenait un sommet avec son homologue chinois Xi Jinping.

"Même de beaux bébés ont été cruellement assassinés dans cette attaque très barbare", a ajouté le chef de la Maison blanche à propos de l'attaque chimique, que les pays occidentaux attribuent aux forces du gouvernement syrien. "Aucun enfant de Dieu ne devrait jamais subir une telle horreur."

Les alliés des Etats-Unis dans la région devraient s'en trouver confortés. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a salué les frappes américaines et demandé le départ immédiat de Bachar al Assad.

Des représentants des rebelles syriens ont appelé à de nouvelles frappes. "Une base aérienne, ça n'est pas suffisant", a déclaré Mohamed Allouche, sur Twitter. Le président du Conseil national syrien (CNS) Georges Sabra a fait valoir sur une chaîne de télévision que "militairement, si c'est limité à cette frappe, alors, cela n'a pas de sens."

Toutefois, selon l'un des responsables ayant participé à la planification de l'attaque syrienne, les missiles de croisière qui se sont déversés sur la base de Chayrat sont une opération "ponctuelle" visant à dissuader les attaques de ce genre et non une extension du rôle des Etats-Unis dans la guerre en Syrie.

"Cela indique clairement que le président veut agir de façon déterminée quand cela lui est demandé. (Mais) je n'irai en aucune façon en tirer des conclusions comme étant un changement de notre politique ou de notre position relativement à nos activités militaires aujourd'hui en Syrie. Il n'y a pas de changement à ce statut", a déclaré le secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson.

UN SIGNAL POUR LA CORÉE DU NORD

Cette action devrait toutefois être interprétée comme un signal pour la Russie, ainsi que pour d'autres pays comme la Corée du Nord, voire la Chine et l'Iran, avec lesquels les Etats-Unis ont eu des différents au début de la présidence.

Le président Vladimir Poutine a dénoncé par la voix de son porte-parole Dmitri Peskov qui "une agression contre une nation souveraine", la Syrie, en se servant d'un "prétexte fallacieux", celui d'une attaque présumée à l'arme chimique.

Moscou, qui affirme que le régime syrien ne dispose pas d'armes chimiques, a fait valoir que le drame de mardi était le résultat d'une fuite émanant d'un dépôt d'armes chimiques appartenant à des rebelles à la suite d'une frappe aérienne.

La visite de Rex Tillerson la semaine prochaine à Moscou ne semble pas, malgré tout, remise en cause par ce regain de tension, a déclaré le président de la commission des Affaires étrangères de la chambre basse du parlement russe.

Des responsables américains ont précisé avoir informé la Russie avant les tirs de missiles et avoir pris soin de ne pas viser la partie de la base de Chayrat sur laquelle se trouvaient des troupes russes.

Moscou a toutefois suspendu ses communications avec l'armée américaine destinées à empêcher les avions des deux pays d'entrer en collision au-dessus de la Syrie. C'était l'une des rares formes de coopération entre les deux pays qui mènent des missions de combat dans le même espace aérien pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.

"MESSAGE FORT"

L'Iran, qui soutient le régime de Bachar al Assad, a également condamné l'opération. "L'Iran condamne l'emploi d'armes chimiques mais estime également qu'il est dangereux, destructeur et contraire au droit international de s'en servir comme d'une excuse pour mener des actions unilatérales", a rapporté l'agence de presse ISNA.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a salué lui "le message fort et clair" adressé par Donald Trump au gouvernement syrien selon lequel "l'utilisation d'armes chimiques ne pouvait pas être tolérée".

Les réactions à Paris, Londres, Berlin mais également en Turquie et en Arabie saoudite étaient favorables à l'initiative américaine. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a déclaré qu'il s'agissait d'un "avertissement" et d'une forme de "condamnation" du "régime criminel" de Bachar al Assad.

Les Etats-Unis menaient déjà des frappes aériennes en Syrie, contre l'Etat islamique qui contrôlent des territoires dans le nord et l'est du pays, tandis qu'un petit nombre de troupes américaines aident sur le terrain les milices qui luttent contre l'Etat islamique. Mais jusqu'alors, Washington avait évité une confrontation directe avec Bachar al Assad.

Cette décision est d'autant plus spectaculaire qu'avant de décider de frapper la Syrie, Donald Trump avait dit à plusieurs reprises qu'il voulait de meilleures relations avec Moscou, notamment pour lutter avec la Russie contre l'Etat islamique et que la lutte contre l'EI était prioritaire sur l'éviction de Bachar al Assad.

En août 2013, les pays occidentaux avaient accusé Bachar al Assad d'avoir utilisé du gaz sarin dans une attaque dans la Ghouta occidentale. Barack Obama avait été à deux doigts de lancer une frappe aérienne en représailles, avant de renoncer et de négocier avec la Russie un accord sur le démantèlement du stock d'armes chimiques de Damas.

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REACTIONS aux frappes américaines sur une base aérienne syrienne

(Steve Holland à Palm Beach, Tom Perry à Beyrouth et Andrew Osborn à Moscou avec les bureaux de Reuters; Pierre Sérisier et Danielle Rouquié pour le service français, édité par Henri-Pierre André)