Alphavalue - Les banquiers de PagesJaunes semblent avoir compris assez tôt le danger de forcer les actionnaires à accepter une dilution massive. Ils auraient pu finir par être rattrapés par leur propre jeu comme on a pu le voir pour Hibu (qui vaut désormais 8m£ avec une dette nette de 2Mds£). Reporter les émissions de capital action signifie que les créanciers contrôlent de fait sinon légalement l’activité. Ce n'est pas leur territoire de compétence. Le management de PagesJaunes ne s'est pas laissé aspirer dans cette spirale infernale d’une baisse de la valeur des actions où la seule issue est la liquidation d’une activité par ailleurs saine. PagesJaunes est plutôt bien portante opérationnellement puisqu’elle se réoriente en souplesse vers le numérique avec une marge d’EBITDA pour le groupe oscillant autour de 43%.

Le cours de PagesJaunes a chuté d’environ 7€ à la mi-juin 2011 à… un plus bas de 1,3€ en novembre dernier, pour se reprendre d’environ 45% au cours des 3 derniers mois. Sur cette dernière période, le titre a affiché la meilleure performance au sein de l’univers européen des media, et conserve un potentiel de hausse de 100% avec un solide momentum de cours. À 3x ses résultats 2013 et avec un rendement des FCF de 30%, on peut accepter de ne pas recevoir de dividende !

En tant que premier éditeur d’annuaires de France avec une base de clients de PME locales (655 300 annonceurs), PagesJaunes a été, comme beaucoup d’autres groupes du secteur des media, confrontée au passage rapide vers le digital, en devant faire face au déclin structurel de ses annuaires imprimés. L’entreprise, qui s’est tournée vers le monde de l’Internet en 2009 sous l’impulsion d’un nouveau Directeur Général (le fondateur d’Egencia, un groupe leader dans le secteur des voyages d’affaires sur le web), a réussi à augmenter la part du chiffre d’affaires issue de ce vecteur à forte croissance à travers l’Internet fixe et mobile (mise en ligne/recherche, sites web, applications mobiles….) pour atteindre environ 60% de ses revenus totaux contre 30% en 2006, approchant les 2/3 pour 2013 et visant les ¾ pour 2015. Faisant partie des sites les plus importants sur Internet, le groupe occupe la 6ème place mondiale en termes de revenus issus du web et ses sites sont classés 5ème en termes de visiteurs en France (juillet 2012 : 20m de visiteurs uniques). Jusqu’à maintenant, la croissance des revenus Internet (supérieure à 9%) s’est révélée insuffisante pour compenser l’effondrement des annuaires papier (-14% ; impliquant un chiffre d’affaires consolidé en baisse de 2,4% sur les 9 premiers mois de 2012), et le groupe a certainement dépensé énormément d’argent en investissements commerciaux et technologiques. Néanmoins il a réussi à afficher une marge brute opérationnelle solide autour de 45%, soutenue par des mesures de réduction de coûts dans l’ancienne activité papier. Les cash flows ont été et restent impressionnants à environ 30% des ventes.

La stratégie de transformation réussie a été totalement occultée par un endettement insupportable (la dette nette ajustée représentait plus de 4x l’EBITDA à fin 2011, des fonds propres négatifs de 2,2Mds€, une dette nette de 1,9Md€ cad. un rare cas d’entreprise avec un total de bilan négatif…), hérité du LBO de 2006. Dès lors, les cash flows opérationnels ont été chaque année largement amputés par les charges financières et les versements de dividendes (un niveau de distribution élevé destiné à financer Médiannuaire, son actionnaire de contrôle ou plutôt la société ad hoc acheteuse endettée jusqu’au cou…). Heureusement, mi-novembre 2012, le dividende pour 2011 a été suspendu (impliquant une économie de 163m€, c’est-à-dire presque 50% de son cash flow opérationnel total…) Les prêteurs ont finalement accepté de rallonger la maturité jusqu’à septembre 2015, en échange d’une réduction de la dette brute totale de 680m€ d’ici avril 2015 (incluant une réduction immédiate de 417m€ de la dette bancaire brute payée par la trésorerie disponible).

Le mois dernier, Médiannuaire a conclu un accord avec ses principaux créanciers concernant la révision des termes de sa propre dette et a annoncé qu’elle réduirait sa participation d’actuellement 54,7% à environ 19% à travers un remboursement partiel en titres PagesJaunes et cash. C’est finalement l’histoire d’un LBO qui a échoué mais les actionnaires de Médiannuaire ont été assez intelligents pour avaler leur chapeau et éviter une faillite en cascade.

Après s’être refinancée avec succès, PagesJaunes s’attaque maintenant à clarifier la structure de son actionnariat historiquement pénalisante. Cependant, à l’avenir, il existe un risque de retour de papier sur le marché avec de nouveaux actionnaires significatifs (les banques de Médiannuaire qui ont accepté de recevoir des actions plutôt que du cash) qui pourraient à terme vendre leur participation (bien que le management travaille dur pour faire en sorte de stabiliser l’actionnariat, au moins à court et moyen termes), ce qui est positif pour la stratégie à long terme du groupe.

Mis à part sur la base du rendement du dividende (pas de distribution attendue à moyen terme) et du ratio de P/Book peu significatif ici (impacté par les fonds propres négatifs en raison du dividende exceptionnel de 2,6Mds€ versé à partir des réserves en 2006), toutes les méthodes de valorisation indiquent un potentiel de hausse significatif (un objectif de cours de 4€ environ). Une amélioration des résultats sera maintenant nécessaire pour soutenir le cours : apparemment encore un défi à relever étant donné les médiocres perspectives économiques (peu de visibilité pour 2013, qui pourrait déboucher sur une déception) et le profil toujours peu attrayant de l’entreprise pour attirer des financements (les FFO ne couvrent que 13% de la dette nette en 2013)… Les actionnaires vont devoir rester patients encore un moment bien que ces risques semblent avoir été largement intégrés dans le cours. Le groupe semble être de mieux en mieux positionné sur le chemin du numérique, se transformant ainsi en cible potentielle pour un Google ou un autre acteur important d’Internet. Finalement la restructuration du passif a créé une situation où les actionnaires détiennent un « call » actable sur la capacité de PagesJaunes à racheter ses actifs auprès des créanciers. L’entreprise en est capable et elle le fera.