PARIS (awp/afp) - Intime de François Mitterrand et créateur de Canal+, André Rousselet, décédé dimanche à 93 ans, a mené une carrière hors du commun, au coeur de la vie politique, médiatique et entrepreneuriale de la Ve République.

Pendant 40 ans, il a accompagné la trajectoire de François Mitterrand. Preuve de confiance, le président lui avait présenté sa fille Mazarine dès 1981, 13 ans avant que le grand public n'apprenne son existence.

Avant de mourir, en 1996, le chef de l'État en fit son exécuteur testamentaire. Cela "n'avait jamais été évoqué entre nous", s'étonnera plus tard André Rousselet, avançant que le président recherchait, à travers lui, "un moyen d'équilibrer les choses" entre sa première famille, autour de Danielle, et l'autre, autour d'Anne Pingeot et de Mazarine.

Son autre grande fierté était d'avoir créé Canal+, devenue, en 10 ans, un modèle de réussite dans l'audiovisuel européen. Ce fut "une aventure extraordinaire" que "je n'aurais su mener à bien sans Pierre Lescure", disait-il.

Élégant, longiligne, séducteur, André Rousselet avait un caractère indépendant et tenace, mais aussi colérique et rancunier. Sa causticité était célèbre. Il avait choisi de donner un titre provocant et drôle ("À mi-parcours") à ses très intéressants mémoires, parus en 2015, alors qu'il avait 93 ans! Il n'aimait pas la nostalgie.

Né le 1er octobre 1922 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), fils d'un magistrat, membre de l'Institut, il obtient une licence en droit et entre en 1945 dans la préfectorale, puis dans des cabinets ministériels. En 1956, il travaille pour un garde des Sceaux qui le fascine par son "agilité intellectuelle". C'est François Mitterrand.

À cette époque, André Rousselet, constamment endetté, fréquente assidûment les casinos. Il arrêtera le jeu, expliquera-t-il, dès qu'il prendra "des responsabilités".

- Coup de poker -

En 1958, après l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle, il part dans le privé "gagner sa vie". Adjoint au chef du service des relations extérieures de Simca, il s'ennuie.

En 1960, il tente, et réussit, un coup de poker: il rachète pour une somme symbolique la filiale taxis de Simca, mal en point. Elle deviendra la première compagnie parisienne, la G7, qu'il va diriger jusqu'en 1992 et qui va lui rapporter beaucoup d'argent.

Parallèlement, cet amateur de peinture et mécène investit dans l'art, acquérant à la fin des années 1970 la Galerie de France, à Paris. Toujours éclectique, il prend aussi le contrôle, entre autres, des magasins de chaussures Bowen.

Il revient à la politique en 1967. Élu député en Haute-Garonne sous l'étiquette FGDS (gauche non communiste), il perd son siège lors de la vague gaulliste de juin 1968.

En 1976, il lance un hebdomadaire, Sports Magazine, qui cesse vite sa parution.

Trésorier des campagnes présidentielles de François Mitterrand en 1965 et 1974, aide précieux durant celle de 1981, il devient le directeur de cabinet du nouveau président.

Lors de ce début de septennat, André Rousselet prend goût aux affaires audiovisuelles dont personne ne veut s'occuper à l'Élysée et dans lesquelles il n'y a, selon lui, "que des coups à prendre et des ennemis à se faire".

À partir de 1982 (jusqu'en 1986), il préside le groupe publicitaire Havas et, en 1984, crée Canal+, dans le scepticisme général. Les débuts sont chaotiques et il est à deux doigts de mettre la clé sous la porte.

In extremis, François Mitterrand lui apporte son soutien, contre plusieurs poids lourds socialistes, dont le Premier ministre d'alors, Laurent Fabius, lequel sera, en retour, interdit d'antenne sur la chaîne pendant des années.

En 1994, André Rousselet démissionne avec éclat de son fauteuil de PDG, n'acceptant pas la prise de contrôle de la chaîne cryptée par un pacte d'actionnaires conclu entre Havas, la Compagnie générale des eaux et la Société générale.

Il en rend responsable le RPR Édouard Balladur, alors chef du gouvernement. À son départ, il lance, à la une du Monde, une formule qui marquera les esprits: "Édouard m'a tuer".

Un mois plus tard, il devient l'actionnaire principal du tout jeune InfoMatin, mais le quotidien ferme en 1996, second échec en matière de presse écrite.

André Rousselet a eu quatre enfants, dont un est décédé, tandis que son fils Nicolas préside le groupe G7. Divorcé, il n'aimait guère parler de sa vie privée.

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