Zurich (awp) - La Banque nationale suisse (BNS) poursuit sa lutte contre l'inflation en procédant jeudi à un troisième resserrement monétaire depuis le début de l'année. Dans un contexte de prix toujours élevés, l'institut d'émission a averti que d'autres hausses pourraient être encore nécessaires.

"L'inflation a quelque peu reculé. Cette évolution est certes réjouissante, mais il est trop tôt pour baisser la garde", a averti le président de la BNS, Thomas Jordan. En Suisse, le taux d'inflation est en effet passé de 3,3% en septembre à 3,0% en octobre et novembre, essentiellement grâce à la décrue du prix des produits pétroliers.

C'est nettement moins qu'à l'étranger. En novembre, l'inflation s'est en effet établie à 10% dans la zone euro et à 7,1% aux Etats-Unis.

L'accélération des prix demeure cependant bien supérieure à l'objectif défini par la BNS et qui se situe entre 0% et 2%, a poursuivi M. Jordan. Pour le dirigeant de la BNS, les prix devraient "rester relativement élevés" dans un premier temps.

Pour cette année, la BNS table ainsi sur un taux d'inflation à 2,9%, contre encore 3,0% dans ses précédentes estimations. Elle devrait reculer à 2,4% en 2023 et à 1,8% en 2024. Sans les tours de vis monétaires opérés depuis juin par la banque centrale suisse - 50 points de base en juin et 75 points en septembre -, la "prévision d'inflation s'inscrirait à un niveau encore plus élevé à moyen terme", a averti M. Jordan.

"Il existe un risque que l'inflation en Suisse demeure à un niveau relativement élevé à moyen terme en raison d'effets de second tour", soit par des hausses salariales qui feraient à leur tour grimper les prix, a-t-il ajouté.

Face à cet environnement de forte inflation, la BNS a relevé, pour la troisième fois depuis juin, son taux directeur. Ce dernier a été augmenté de 50 points de base, passant de 0,5% en septembre à 1,0% actuellement.

La BNS "contre ainsi la pression inflationniste accrue et une propagation du renchérissement à d'autres biens et services" a-t-elle expliqué dans un communiqué. L'institut d'émission continuera également à intervenir au besoin sur le marché des changes.

Cette hausse intervient au lendemain d'une décision similaire par la Réserve fédérale américaine (Fed). Cette dernière a relevé mercredi son principal taux directeur d'un demi-point de pourcentage dans une fourchette de 4,25% à 4,50%. Elle a prévenu qu'il n'était pas encore temps de s'arrêter et que de nouvelles hausses "seront appropriées".

La Banque centrale européenne (BCE) a quant à elle opté ce jeudi pour un tour de vis monétaire plus modéré. Elle a relevé ses taux de 50 points de base, portant les taux rémunérant les liquidités bancaires non distribuées en crédit à 2% et celui sur les opérations de refinancement à court terme à 2,50%, au plus haut depuis fin 2008. Sa présidente Christine Lagarde a indiqué que la BCE allait procéder à des hausses de taux d'intérêt de 0,50 point "pendant un certain temps" pour lutter contre l'inflation persistante en zone euro.

Action jugée pas "assez efficace"

Sur le plan de la croissance, l'évolution du produit intérieur brut (PIB) en Suisse demeure devisée à 2,0% en 2022. L'essor économique du pays risque par contre de subir un sérieux coup de frein en 2023, avec une première estimation fixée à 0,5%, du fait de l'affaiblissement de la demande extérieure et des prix élevés pour l'énergie. Les perspectives demeurent de surcroît hautement incertaines, au vu du risque de tassement conjoncturel à l'étranger ou de l'éventualité de pénuries énergétiques sévères sous nos latitudes.

"Thomas Jordan considère notamment que la baisse (de l'inflation) est principalement expliquée par les prix de l'énergie. Cela signifie que l'action de la BNS n'est pas jugée assez efficace pour le moment pour instaurer une pause dans le durcissement monétaire", a indiqué Arthur Jurus à l'agence AWP. Selon le stratégiste senior d'Oddo BHF (Suisse), les investisseurs anticipent en effet que le taux directeur de la BNS monte à 1,25% d'ici mi-2023.

Les analystes de VP Bank anticipaient pour leur part un relèvement de 75 points de base, qui n'a apparemment pas été retenu en raison d'un inflation moins élevée qu'attendue. Les spécialistes de la banque liechtensteinoise doutent que la stratégie de la BNS soit efficace. L'institut d'émission ne siégeant que quatre fois par an, il risque d'être en retard par rapport aux décisions de la BCE et de la Fed, ont-ils estimé dans une commentaire.

La BNS doit également faire attention à ne pas laisser trop s'agrandir l'écart de taux, ce qui pourrait affaiblir le franc et faire reflamber l'inflation, a averti VP Bank.

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