AIX-EN-PROVENCE (awp/afp) - La pandémie de Covid-19 a révélé les fragilités du capitalisme qui, pour survivre, doit favoriser l'innovation, mieux répartir les richesses et protéger l'environnement, estiment des économistes présents aux Rencontres d'Aix-en-Provence.

Depuis deux siècles et l'avènement de la machine à vapeur, "c'est la destruction créatrice qui a été source de croissance mondialement", a affirmé Philippe Aghion, disciple de Joseph Schumpeter, lors d'un débat vendredi intitulé "Et demain, quel capitalisme?".

Le problème, c'est que les innovateurs d'hier ont vite fait de s'accrocher à leurs brevets et à leur rentes pour empêcher l'émergence de nouvelles innovations.

"Un monopole ne fait pas de l'innovation pour la mettre en place, un monopole fait de l'innovation pour se protéger de possibles concurrents. Typiquement c'est ce que fait la pharmacie et c'est ce que font les entreprises de l'internet", a expliqué pour sa part à l'AFP Patrick Artus, citant les travaux sur le sujet de l'économiste Thomas Philippon.

Résolument optimiste, Philippe Aghion assure néanmoins "qu'on peut surmonter l'inertie des innovateurs d'hier" par une bonne régulation.

La question de l'utilisation des rentes est pour lui "au coeur du débat sur les inégalités et la croissance". Elle se pose aujourd'hui avec une nouvelle acuité concernant les brevets sur les vaccins contre le Covid-19, et sur les innovations vertes.

Tout en saluant les innovations de rupture, le fondateur du Cercle des économistes Jean-Hervé Lorenzi met en garde contre celles qui "sont purement de rationalisation, qui suppriment ou dégradent des emplois", citant en exemple les postes de travail peu qualifiés créés dans les entrepôts du géant américain des ventes en ligne Amazon.

Patrick Artus estime quant à lui que le capitalisme actuel est condamné à mourir, car il est critiqué par la gauche pour avoir creusé depuis 40 ans les inégalités, mais aussi par les économistes libéraux pour son inefficacité, car "il y a de moins en moins de progrès technique depuis 40 ans".

"Ce système est bourré de rentes: il y a des rentes de monopole, des rentes immobilières, des rentes liées aux politiques monétaires qui font monter les prix des actifs et la valeur des entreprises. C'est un capitalisme de rentier, ce n'est pas du tout un capitalisme libéral" et cela "explique sans doute qu'il va mourir", assure cet économiste de la banque Natixis.

Modèle allemand

La pandémie "a été un formidable révélateur des faiblesses du capitalisme de par le monde" d'après Philippe Aghion, qui souligne que "ces faiblesses ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre".

Alors qu'aux Etats-Unis, le Covid-19 "a mis en évidence les faiblesses du modèle social américain", "rien de tel ne s'est passé dans les pays européens".

En revanche "l'innovation, c'est surtout aux Etats-Unis que ça s'est fait", relève l'économiste schumpétérien, qui cite en exemple l'industrialisation des vaccins à ARN messager, dont le principe a pourtant été découvert en France il y a plus d'un demi-siècle par le prix Nobel de médecine François Jacob.

"Je veux un capitalisme innovant comme aux Etats-Unis et protecteur et inclusif comme au Danemark", explique M. Aghion, qui est en désaccord avec ceux qui disent que le manque d'innovation en Europe est le "prix à payer" pour la protection sociale.

Pour sortir le capitalisme de l'impasse, Patrick Artus propose de s'inspirer de l'ordo-libéralisme, ou économie sociale de marché, qui est la doctrine économique dominante en Allemagne.

Dans ce système, "ce n'est pas l'Etat qui organise la répartition, mais il fait l'effort de corriger toutes les défaillances des marchés".

Ainsi dans la pensée des ordo-libéraux allemands, l'Etat s'occupe des inégalités, de la pauvreté, de l'éducation ou de l'environnement, mais en mettant en place des mécanismes de marché là où c'est possible.

Pour lutter contre le réchauffement climatique, "plutôt que de dire comment on doit s'habiller, comment on doit se loger, comment on doit manger, il faut mettre le CO2 à 100 euros la tonne et à 200 dans 20 ans et spontanément les bonnes décisions seront prises par tout le monde", assure Patrick Artus.

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