MEXICO (awp/afp) - Peu de personnes connaissent la porte "N" de l'aéroport de Mexico. De cette sortie discrète surgissent trois fois par semaine des migrants mexicains venant d'être expulsés des États-Unis.

Adan Jacome, 45 ans, est là pour accueillir ces personnes aux regards perdus, qui ont voyagé menottées, et leur offrir son aide.

Avec un groupe de migrants qui ont vécu la même épreuve, il a créé la marque "Deportados Brand" ("La marque des expulsés"), une petite entreprise qui vend des tee-shirts pour les aider à retrouver un jour leur famille restée aux Etats Unis et pour aider ces nouveaux arrivants à repartir de zéro.

Adan Jacome est la première main tendue pour ces migrants qui arrivent dans un pays qui leur est parfois devenu étranger. Il les aide à trouver un travail, même si le statut d'expulsé complique leur intégration.

"On te ferme les portes car les gens pensent: +il a sûrement tué, volé ou alors il vendait de la drogue+" raconte à l'AFP Adan Jacome, qui lui aussi a dû quitter les Etats-Unis après avoir vécu 16 ans à Las Vegas.

La société "Deportados Brand" imprime et vend des tee-shirts aux slogans militants, parfois humoristiques, tels que "Bad Hombre (mauvais homme)" ou "Nous sommes tous la porte N".

La marque est née presque par hasard fin 2016 lorsque cinq personnes qui vendaient des bonbons dans la rue ont décidé de se faire fabriquer des tee-shirts.

- 'Colère' -

Ils les ont portés la première fois le 20 janvier 2017, jour de l'investiture de Trump à la Maison Blanche.

"Les gens ont aimé", raconte Gustavo Lavariega, 42 ans, l'un des fondateurs de la marque, lui aussi expulsé des Etats-Unis après 17 années passées dans l'Etat de Washington, où vivent toujours ses quatre filles.

Quelques mois plus tard, les cinq compagnons travaillaient ensemble dans un atelier de sérigraphie pour fabriquer leurs tee-shirts en série.

Adan Jacome prête son téléphone aux migrants expulsés et leur offre un logement dans l'atelier de sérigraphie. Ils sont également accueillis par une petite délégation de fonctionnaires de la mairie qui leur propose une aide sociale et une autre organisation caritative qui leur donne une petite valise vide pour mettre leurs effets personnels.

Certains migrants s'efforcent de sourire malgré le choc de l'arrivée et le dépaysement.

"C'est un processus très dur à encaisser. Tu arrives à Mexico et tu te dis: +ce n'est pas possible, pourquoi ils m'ont expulsé?+ Je ne voulais pas revenir, j'avais là-bas un travail bien payé. Tu es en colère", raconte Lavariega.

Ana Laura Lopez, 42 ans, est l'une des figures de l'entreprise. Elle a ressenti la même émotion lorsqu'elle a été expulsée de Chicago où elle a vécu presque 16 ans, laissant derrière elle ses deux fils.

Elle se dirigeait vers l'aéroport pour se rendre au Mexique et effectuer une demande officielle de visa de travail aux Etats-Unis, lorsqu'elle a été arrêtée par la police migratoire. Elle est interdite d'entrée aux Etats-Unis pour les 20 prochaines années.

- Peu de chance d'y retourner -

Pour elle, avec le retour au Mexique "tout a changé".

"Ils m'ont retiré la seule opportunité que j'avais, alors que je n'étais pas une délinquante, que je n'avais fait que travailler. Je me suis trouvée en état de choc durant plusieurs jours", raconte-t-elle.

Quand elle évoque leur entreprise qui gagne chaque jour des fans sur Facebook et les slogans qu'elle imagine et qui traduisent son état d'esprit, son ton de voix s'éclaire.

"Débrouillarde ici, débrouillarde là-bas", a-t-elle ainsi fait imprimer sur un des tee-shirts qu'elle a conçus.

Même si l'entreprise gagne des clients, ses fondateurs voient s'éloigner la perspective d'un retour aux Etats-Unis auprès de leur famille, un an après l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.

"L'espoir de retourner un jour chez nous a diminué au cours de l'année", déplore Ana Laura tandis qu'elle dépose en signe de protestation devant l'ambassade américaine à Mexico les sacs plastique remis par les autorités américaines aux migrants expulsés.

"Chaque sac possède une histoire, un rêve tronqué, une famille séparée" dit-elle.

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