par Jeremy Wagstaff

SINGAPOUR, 1er septembre (Reuters) - L'"Open data" (données ouvertes), cette masse d'informations rendues publiques par les gouvernements et les entreprises, est non seulement une source potentielle de croissance mais elle peut également aider à renforcer la transparence, voire à éviter à un pays de sombrer dans le chaos comme ce fut le cas en Indonésie.

L'idée du concept, qui est de favoriser une politique d'ouverture et de partage des données publiques auprès des citoyens, est surtout en vogue dans les pays développés.

La Banque mondiale a rendu publiques des centaines de milliers de données et le site américain Data.gov répertorie plus de 100.000 informations allant des calories alimentaires au champ magnétique dans l'espace.

L'Open data permet par exemple à n'importe quel citoyen, en croisant différentes données publiques, de connaître le taux de remplissage d'un train, le pourcentage de réussite au Bac dans un quartier, la qualité des soins dans un secteur donné, la carte des accidents, etc.

Selon le cabinet de conseil McKinsey, l'Open data pourrait ajouter 3.000 milliards de dollars par an à l'activité économique mondiale, en créant de nouveaux services et en permettant aux gouvernements d'économiser de l'argent.

Et si connaître les prix de l'immobilier ou les horaires de bus ne sont pas des priorités dans les pays émergents, l'Open data peut néanmoins avoir une certaine utilité.

En Indonésie, un contentieux électoral entre l'ancien général Prabowo Subianto et le gouverneur de Djakarta Joko Widodo a mis en évidence la portée de l'impact de l'Open data.

Le pays, qui compte 247 millions d'habitants, est l'un des huit membres fondateurs de l'Open Governance Partnership (OGP), une initiative gouvernementale destinée à libérer de données et qui réunit à présent plus de 64 membres.

ANCRAGE DÉMOCRATIQUE

Au sortir de l'élection présidentielle du 22 juillet où chaque camp accusait l'autre de fraude, des surdoués de la programmation informatique, les médias sociaux et le crowdsourcing (le savoir-faire d'un grand nombre) ont tiré profit des "données ouvertes" pour renforcer l'ancrage démocratique du plus grand pays musulman du monde.

"L'Open data a sans doute sauvé cette élection", assure Paul Rowland, un consultant spécialisé dans les questions de démocratie et de gouvernance, installé à Djakarta.

De fait, l'effervescence autour de la transparence a poussé la commission électorale indonésienne à expliquer comment les résultats de l'élection présidentielle avaient été obtenus.

"Il n'y avait rien dans l'OGP qui disait qu'il fallait fournir les résultats de chaque village", a déclaré Kevin Evans, un consultant en matière de gouvernance, installé à Djakarta. "Mais cela a amené la commission à se demander: pourquoi ne pas essayer un peu plus de transparence?"

La commission a alors fourni du matériel de recomptage à près d'un demi-million de bureaux de vote pour qu'ils scannent et publient sur des serveurs puis sur un site web leurs résultats.

Avec les documents numérisés, des bénévoles ont commencé à vérifier le dépouillement dans chaque village et à traquer le moindre signe de fraude.

Mais comme chaque camp revendiquait la victoire sur la base de comptages approximatifs ou partiels, il fallait trouver le moyen de rassembler tous les résultats.

C'est à ce moment qu'Ainun Najib, un consultant indonésien spécialisé dans les nouvelles technologies installé à Singapour, a pris contact avec deux de ses amis chez Google.

Ensemble ils ont trouvé la solution: permettre le téléchargement automatique de tous les fichiers numérisés du site web et créer une page où les bénévoles peuvent retranscrire facilement les chiffres de chaque décompte dans un tableur.

En quelques jours, bien avant la publication des résultats officiels, 700 bénévoles ont ainsi pu rentrer les résultats de plus de 90% des bulletins de vote sur un site web qui pouvait être vu par tout le monde.

L'initiative a permis de convaincre les Indonésiens que l'élection a été juste - un verdict confirmé par la suite par la plus haute juridiction du pays.

"Cela a permis à la presse et aux citoyens de vérifier si les données avaient été manipulées en passant du bureau de vote au centre de dépouillement. Ce n'était jamais arrivé auparavant", souligne Marcus Mietzner, professeur associé à l'Australian National University.

Lors d'une cérémonie en l'honneur des jeunes dirigeants il y a deux semaines, le président élu indonésien Joko Widodo a remercié Ainun Najib et ses collègues pour avoir aider à rendre les élections plus transparentes. (Claude Chendjou pour le service français)