* Plusieurs personnes ont participé au crime, dit le procureur

* Une affaire hors normes (Actualisé avec remise en liberté de Ginette Villemin)

DIJON, Côte-d'Or, 15 juin (Reuters) - L'assassinat du petit Grégory Villemin, retrouvé noyé pieds et poings liés dans une rivière des Vosges le 16 octobre 1984, impliquerait plusieurs membres du cercle familial, a déclaré jeudi le procureur général de Dijon, Jean-Jacques Bosc.

Trois personnes avaient été placées en garde à vue mercredi, Marcel et Jacqueline Jacob, grands oncle et tante de l’enfant, ainsi que Ginette Villemin, sa tante, tous issus de la branche paternelle.

Cette dernière a été remise en liberté jeudi, a indiqué dans la soirée son avocat, Rémi Stéphan, sur BFMTV.

"Ce qui est important ce soir, c'est qu'il n'y a aucun élément contre Ginette Villemin et que malheureusement son nom a été cité dans cette malheureuse affaire ou trop de gens ont déjà souffert", a-t-il déclaré.

Quelques heures plus tôt, le procureur général de Dijon, Jean-Jacques Bosc, avait indiqué lors d'une conférence de presse à Dijon qu'"à ce stade, les investigations, corroborées par l'analyse criminelle, montrent qu'à l'évidence, plusieurs personnes ont concouru à la réalisation du crime".

Il a précisé qu’une expertise sur une lettre de menaces adressée en 1983 au père de l’enfant, Jean-Marie Villemin, était "confondante" à l’encontre de Jacqueline Jacob.

Les termes employés, principalement l'usage du mot "chef", présentent en outre des "similitudes" avec la lettre de "revendication" de l'assassinat adressée aux parents et postée le jour du crime depuis leur village de Lépanges-sur-Vologne.

"J'espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con", disait la missive.

Une autre lettre de menaces adressée en 1989 au juge Simon, alors en charge de l’enquête, impliquerait par ailleurs Monique Jacob, épouse Villemin, la grand-mère de Grégory, qui a été entendue mercredi par la gendarmerie.

Jean-Jacques Bosc a encore précisé que, selon des témoignages, des "repérages" des lieux de l'enlèvement du petit garçon avaient été effectués dans les jours précédents, par "un homme portant moustache", parfois accompagné d'une femme.

Le sort des trois personnes interpellées, qui gardent pour l'instant le silence, selon le procureur, sera connu vendredi à l'issue de leur garde à vue.

DOSSIER TOUJOURS PAS PRESCRIT

Sans que le procureur ait avancé de nom, l'homme à la moustache pourrait être Bernard Laroche, un cousin de Jean-Marie Villemin, mis en examen pour le meurtre, puis libéré, en raison d'erreurs de procédure. Il a été abattu par le père de l'enfant avant que la mère, Christine Villemin, ne soit elle-même poursuivie. La cour d'appel de Dijon l'a innocentée en 1993.

Le dossier a été rouvert par deux fois, en 2000 et 2008, pour réaliser des analyses ADN de pièces du dossier, expertises qui se sont révélées infructueuses mais ont permis, à chaque fois, de relancer le délai de prescription.

Cette nouvelle avancée dans l'enquête, sans paraître à ce stade décisive, relance une affaire hors norme.

Tragédie en milieu ouvrier sur fond de rancoeurs familiales avec pour cadre une vallée vosgienne en déclin industriel, elle a passionné l'opinion autant que les médias et donné lieu à de nombreux dérapages, jusqu'au sein de l’appareil judiciaire.

Les dizaines de journalistes, dont certains ont vécu, un temps, presqu'à demeure dans les Vosges, ont parfois pris parti pour ou contre les protagonistes, bénéficiant de nombreuses fuites du dossier judiciaire et organisant à l'occasion une mise en scène pour rendre la photo plus belle.

La romancière Marguerite Duras a elle-même fait sensation en publiant, le 17 juillet 1985 dans le quotidien Libération, une tribune intitulée "Sublime, forcément sublime Christine V.", dans laquelle elle supposait, pour la justifier, la culpabilité de la mère de l’enfant.

L’inexpérience et la fragilité – qu'il devait reconnaître par la suite - du juge d’instruction d’Epinal en charge du dossier, Jean-Michel Lambert, bientôt surnommé le "petit juge Lambert", est à l'origine d'erreurs de procédures et d'annulations d'actes qui ont compliqué l’enquête.

Sa décision d'en dessaisir la gendarmerie, le 20 février 1985, après la remise en liberté de Bernard Laroche, pour la confier à la police judiciaire de Nancy qui allait tourner ses soupçons vers Christine Villemin, y a également contribué.

L'affaire Grégory est de celles qui ont nourri les réflexions sur la nécessité d’une collégialité de l'instruction, qui ont reçu une traduction tardive en 2000. (Robert Pratta, avec Gilbert Reilhac à Strasbourg, édité par Yves Clarisse)