Paris (awp/afp) - Habitué à vivre sous perfusion des banques centrales, le marché européen de la dette des États refoulait l'idée d'une normalisation monétaire, mais le dernier discours du président de la BCE a provoqué une prise de conscience.

Avec les premiers signes de frémissements de la croissance et de l'inflation en zone euro, difficile d'imaginer que la Banque centrale européen n'allait pas commencer à procéder à des ajustements qui tireraient du même coup vers le haut les taux d'intérêt des États européens très faibles, voire même négatifs pour l'Allemagne.

Depuis l'été 2016, où ces taux d'emprunt avaient touché des points bas, les experts prédisaient d'ailleurs une remontée inéluctable, d'autant que la Réserve fédérale américaine avait pour sa part déjà pris clairement le virage du resserrement monétaire.

Un premier mouvement de hausse s'était amorcée à l'été 2016, une fois débarrassé de l'inconnu du référendum britannique et s'était accéléré après l'élection du président américain Donald Trump, aiguillonné par ses velléités de réforme fiscale génératrice potentielle d'inflation et de croissance.

Mais avec une BCE encore massivement présente sur le marché de la dette souveraine et un début d'année sous le sceau de l'incertitude politique, surtout au moment de la présidentielle française, la remontée est restée largement symbolique... jusqu'à mardi dernier.

Lors du forum annuel de l'institution au Portugal, le président Mario Draghi a notamment affirmé qu'"au fur et à mesure que l'économie continuera de se redresser (...), la banque centrale pourra accompagner la reprise en ajustant les paramètres de ses instruments de politique".

- "complaisance" -

Jusqu'ici "les marchés ne voulaient pas croire que les banques centrales allaient réduire la voilure", observe auprès de l'AFP Eric Bourguignon, directeur général délégué de Swiss Life Asset Management France.

Même constat de Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires de AllianzGI, qui notait alors une "certaine complaisance" des marchés.

La BCE avait pourtant déjà envoyé des signaux clairs.

"Mais le message de Mario Draghi" au Portugal a provoqué une "prise de conscience qui n'avait pas encore eu lieu", souligne auprès de l'AFP Patrick Jacq, un stratégiste obligataire de BNP Paribas.

"La conjoncture en Europe se renforce, il y a donc de bonnes raisons pour que le marché commence à en tenir compte", ajoute-t-il.

Et en une semaine, le changement sur le marché secondaire où s'échange la dette déjà émise, est déjà patent puisque le taux d'emprunt allemand, qui fait référence, a clôturé mardi à 0,475% contre 0,250% à la veille du discours.

Pour M. Jacq, "cela pourrait même aller un peu plus vite, si la BCE commence à annoncer une sortie progressive du programme de rachat d'actifs", même si "le processus sera forcément graduel".

- lait sur le feu -

Après des années à veiller sur les marchés comme le lait sur le feu, les banques centrales tiennent en effet à soigner leur sortie.

"Elles marchent sur des oeufs, car elles veulent à tout prix éviter un choc", juge M. Bourguignon

Et le chemin vers l'autonomie est encore long.

Car "les banques centrales restent d'énormes pourvoyeuses de liquidités" et "la zone euro est encore majoritairement en taux négatifs", relève M. Dixmier.

"Mario Draghi a redit ce qu'il avait déjà annoncé, cette fois le marché en a pris acte" mais cela n'empêche que les conditions soient "toujours excellentes sur le marché primaire" des émissions de dette, "avec des opérations qui se passent très bien", affirme Frédéric Gabizon, responsable pour le marché obligataire chez HSBC.

Felix Orsini, responsable des émissions de dettes souveraines de Société Générale CIB, observe aussi un "vrai appétit des investisseurs pour les signatures européennes" sur le marché primaire, avec "un environnement qui reste favorable" pour le marché.

Et même si les banques centrales restent le principal catalyseur du marché, la géopolitique fournit toujours son cortège d'inquiétudes, alimentant la recherche d'actifs de qualité sans risques, ce qui profite à plein aux dettes des pays de la zone euro et empêchent ses taux de décoller trop vite.

afp/rp