par Thierry Lévêque et Matthieu Protard

Entendu comme témoin à la neuvième audience du procès, Eric Cordelle a expliqué que les huit traders du "desk Delta One" où travaillait Jérôme Kerviel, tenu pour responsable d'une perte de 4,9 milliards d'euros, étaient sous pression de l'aube à la nuit et qu'ils prenaient peu de congés, avec l'accord de la banque.

"L'ensemble de la chaîne était sous l'eau, il y avait trop de travail", a-t-il dit.

Martial Rouyère, autre supérieur hiérarchique de Jérôme Kerviel cité comme témoin, a confirmé qu'en 2007, les traders étaient "surmenés" compte tenu de l'éclatement de la crise des subprimes, les crédits immobiliers à risques.

"On est passé d'une situation tendue à une situation presque intenable", a souligné Martial Rouyère à propos de la crise.

En 2007, quand Jérôme Kerviel a pris des positions pour des dizaines de milliards d'euros, l'ex-trader de la SocGen n'a pris que quatre jours de vacances sur toute l'année, avec l'accord de la hiérarchie.

Des témoins ont expliqué au cours du procès que ce comportement aurait dû alerter la banque.

"Il y avait une hypocrisie du management de la Société générale. Quand un trader disait qu'il ne partait pas, on disait 'c'est pas bien' mais ça arrangeait tout le monde", a souligné Eric Cordelle.

"COMÉDIE"

A ses yeux, la cadence de travail expliquerait qu'il n'ait pas prêté attention aux courriels concernant les alertes d'Eurex, le marché allemand des dérivés financiers, qui avait signalé les positions problématiques de Jérôme Kerviel.

"Je recevais 300 mails par jour", a dit Eric Cordelle. "Je devais traiter plusieurs dizaines d'urgences quotidiennes".

Dans cet univers, Jérôme Kerviel se montrait très doué selon le témoin pour éluder les problèmes soulevés par ses agissements, à l'occasion de conversations suscitées en plein "rush" des marchés, où il mentait avec aplomb.

"Jérôme a toujours su trouver des raisonnements, des explications convaincantes. Il mentait du début à la fin et chaque fois qu'il disait quelque chose, c'était crédible", a dit Eric Cordelle.

"Il a bien joué la comédie", a-t-il ajouté. Son attitude lui paraît aujourd'hui "idiote et pitoyable".

"Je lui en veux, il a démoli ma vie personnelle et professionnelle", a-t-il encore dit.

Nommé en avril 2007 à la tête du desk, Eric Cordelle, ingénieur de formation, a expliqué qu'il ne comprenait pas véritablement le métier de trader et ne pouvait donc pas le contrôler efficacement.

"Je n'avais ni les moyens ni la connaissance pour le faire. Je ne connaissais pas forcément le vocabulaire des traders", a-t-il dit.

HOMME "DE CONFIANCE"

C'est ainsi qu'il a pu laisser passer les alertes, notamment sur la trésorerie de 1,4 milliard d'euros accumulée par Jérôme Kerviel fin 2007, a-t-il assuré. Dans cet univers, le fonctionnement du service reposait sur l'idée que chacun était de bonne foi, a expliqué le témoin.

"On n'est pas dans un agence bancaire où quelqu'un peut partir avec la caisse. On est dans une salle de marché où la culture n'est pas celle de la fraude".

"Evidemment, les informations étaient accessibles, mais personne ne cherchait ça, parce que Jérôme Kerviel faisait bien son travail, était aimable avec ses collègues", a-t-il dit.

Martial Rouyère a confirmé ces traits de la personnalité de l'ex-trader de la SocGen: "Jérôme Kerviel était quelqu'un de sérieux, de confiance, (...) qui résolvait les problèmes, autonome".

En outre, a-t-il ajouté, "rien ne différencie le clic de souris qui vous fait acheter 100.000 euros de celui qui vous fait acheter des milliards. Ça fait moins de bruit que d'acheter un voyage sur SNCF.com".

Comme Eric Cordelle, il a indiqué au tribunal que l'avertissement verbal qu'avait reçu Jérôme Kerviel en 2005 ne lui avait pas été rapporté quand il a pris ses fonctions comme responsable dans la salle des marchés de la SocGen.

Edité par Yves Clarisse