PARIS, 17 juillet (Reuters) - La décision de la République tchèque de retenir mercredi le sud-coréen KHNP au détriment d'EDF pour bâtir au moins deux réacteurs nucléaires constitue un nouveau revers sérieux pour l'électricien public français et interroge sur ses capacités de développement à l'export.

A travers cet appel d'offres, EDF voulait commencer à concrétiser son ambition de bâtir une flotte de nouvelles centrales à l'échelle européenne pour être plus efficace dans la gestion de ses chantiers, après des années de retards et surcoûts de ses projets de réacteurs de type EPR en France (Flamanville) et au Royaume-Uni (Hinkley Point).

Mais ce passif, de même qu'un prix supérieur à celui de l'offre coréenne et le choix de proposer à Prague un réacteur - l'EPR1200 - qu'il n'a jamais construit ont plombé ses chances de l'emporter, selon des sources industrielles et des analystes interrogés par Reuters.

"On comptait sur ce projet pour crédibiliser notre offre à l'échelle européenne. Malheureusement la réalité des coûts a pesé plus lourd que les grands discours politiques et le message envoyé au reste de l'Europe n'est pas celui qu'on espérait", a déclaré une source interne à EDF.

Le groupe, intégralement renationalisé il y a un an et en cours de redressement après de lourdes difficultés de production nucléaire et une perte record de 18 milliards d'euros en 2022, a pris acte de la décision tchèque mais s'est dit prêt "à poursuivre ou à relancer" les discussions si l'appel d'offres "devait être modifié ou réajusté dans les semaines ou les mois à venir".

EDF "continuera à plaider en faveur d'une approche européenne basée sur des technologies développées en Europe avec ses partenaires. Le groupe reste pleinement mobilisé pour poursuivre les nombreux projets nucléaires en cours", a-t-il ajouté.

"LE MARCHÉ EST BEAUCOUP PLUS DISPUTÉ QUE CE QU'ON PENSAIT"

Après un échec face à Westinghouse en Pologne en 2022, le risque pour le groupe est de voir se fermer un "très gros marché", en Europe de l'Est, "porté par des enjeux de décarbonation et des ambitions industrielles fortes", selon une deuxième source interne.

Cette même source a cependant ajouté que l'hypothèse d'un succès d'EDF en République tchèque ne faisait pas l'unanimité en interne, certains soulignant les limites industrielles du groupe et le risque financier auquel il pourrait s'exposer en cas de retards et surcoûts : "Pour eux, ça arrivait trop tôt."

Le ministère de l'Economie et des Finances n'a pas souhaité commenter ces informations.

Selon Nicolas Goldberg, directeur associé chez Colombus Consulting, "le marché est beaucoup plus disputé en Europe que ce qu'on pensait" et l'industrie nucléaire française "a des questions à se poser si, à chaque fois, (elle) perd les appels d'offres".

Le lobbying français, assuré notamment début mars par Emmanuel Macron lors d'une visite à Prague, n'a en outre pas permis à EDF de l'emporter face à Kepco, maison-mère de KHNP, 15 ans après un premier échec retentissant face au sud-coréen, qui avait profité d'une désorganisation du camp français pour remporter en 2009 la construction de quatre réacteurs APR1400 aux Emirats arabes unis.

Selon Nicolas Goldberg, le projet français de construction d'au moins six réacteurs de type EPR2 ne devrait pas être pénalisé par la décision de Prague. (Reportage Benjamin Mallet ; édité par Nicolas Delame)