par David Henry et Emily Stephenson

NEW YORK/WASHINGTON, 4 juin (Reuters) - La Réserve fédérale est tentée de s'en tenir à ses propres règles en matière d'appréciation des risques pris par les banques plutôt qu'à celles définies dans le cadre multilatéral des accords de Bâle, quitte à ce que les acteurs du secteur y perdent les milliards de dollars investis pour se mettre en conformité avec les standards internationaux.

Des représentants de la Fed ne cachent pas leur inquiétude quant aux modalités de mesure des risques bancaires prévues dans le cadre des accords dits de Bâle III sur les fonds propres minimum que les établissements bancaires internationaux doivent détenir pour faire face à d'éventuels chocs.

Dans leur collimateur, la possibilité laissée aux banques d'utiliser leurs propres modèles pour l'évaluation de leurs risques, une latitude qui permettrait de contourner trop facilement les règles sur les exigences de fonds propres.

Dans un discours prononcé le mois dernier, le gouverneur de la Fed Daniel Tarullo s'en est pris aux marges de manoeuvre trop grandes que Bâle III laisserait aux banques en leur permettant d'utiliser leurs propres modèles d'évaluation et de pondération des risques.

S'il s'exprimait à titre personnel, sa position est partagée par d'autres gouverneurs de la Fed a déclaré une source proche du dossier à Reuters. La porte-parole de la Fed Barbara Hagenbaugh s'est refusée à tout commentaire.

En lieu et place des règles de Bâle III, Daniel Tarullo a promu les tests de résistance de la Fed conduits sur la base de son propre modèle, sur lequel elle donne le moins de précisions possible de peur que les banques ne trouvent des moyens de le contourner.

UN PROCESSUS "ARBITRAIRE ET AFFOLANT"

Lasse d'attendre la finalisation des nouvelles règles de Bâle III, la Fed les a complétées de sa propre initiative par des ratios de levier calculés sur la base de la taille du bilan sans pondération des risques.

La Fed se réserve aussi la possibilité de modifier chaque année les scénarios de stress qu'elle retient pour ses tests sur la solidité des banques.

Citigroup, Bank of America et JP Morgan Chase ont vu quelque 60 milliards de dollars de fonds propres excédentaires se volatiliser du fait des changements de méthodes décidés par la Fed cette année, selon John McDonald de Bernstein Research.

Plusieurs banques, dont Citigroup et Bank of America , ont vu leurs plans de rachats d'actions ou de versements de dividendes retoqués par la Fed, qui les avaient jugés trop généreux au regard de ses tests de résistance.

Leurs déboires ont poussé les autres banques à se montrer plus prudentes dans la gestion de leurs fonds propres, selon des analystes.

Les banques ont fait part de leur exaspération, d'autant que la Fed avait autorisé huit des plus grandes banques américaines à utiliser leurs propres modèles d'évaluation des risques moins de trois mois avant les déclarations de Daniel Tarullo et qu'elles ont consenti d'énormes efforts en vue de l'adoption des règles de Bâle III, qui doivent être pleinement entrées en vigueur en janvier 2019.

Pour un dirigeant d'une banque américaine qui a requis l'anonymat, la Fed veut juste disposer de ses propres règles du jeu et pouvoir les changer à sa convenance. Pour un autre, le processus des tests de résistance de la Fed est "arbitraire et affolant".

DÉFAILLANCES

Les plus grandes banques mondiales ont investi des milliards de dollars au cours des dernières années pour développer leurs propres modèles d'évaluation des risques, recruter des équipes spécialisées et céder des actifs afin de se mettre en conformité avec les règles de Bâle III, selon des analystes.

Un dirigeant de l'une d'entre elles avait déclaré l'année dernière à Reuters qu'elle avait consacré 500 millions de dollars au développement des modèles et des systèmes d'information correspondants.

En l'absence de précisions sur les tests de résistance de la Fed, les banques doivent détenir plus de fonds propres, ce qui pèse sur leur capacité à prêter à l'économie, estiment des banquiers.

Les grandes banques européennes, soumises aux tests de résistance conduits par la Banque centrale européenne avant qu'elle n'assure leur supervision directe à compter du mois de novembre, ne sont pas en reste.

"Consigne est déjà donnée depuis des mois dans les grandes banques françaises de respecter les règles américaines plutôt que celles édictées par l'Union européenne, réputées moins dures", a confié à Reuters un dirigeant de l'une d'entre elles qui a requis l'anonymat.

Les régulateurs ont toutefois des raisons de s'inquiéter de la manière dont les banques mesurent leurs risques. Le Comité de Bâle, en charge de l'élaboration des règles internationales de capitalisation des banques, avait dit l'année dernière avoir constaté de grandes différences dans la manière dont les banques évaluent les risques liés à leurs portefeuilles de prêts et de trading.

Une étude conduite par Barclays Capital en 2012 avait montré que plus de la moitié des investisseurs n'avaient pas confiance dans l'évaluation par les banques des risques liés à leurs actifs.

Les banques admettent rarement faire évoluer leurs modèles d'évaluation des risques pour réduire leurs besoins de fonds propres, mais des courriels de dirigeants de JP Morgan se référant explicitement à cette pratique avaient été rendus publics l'année dernière par une commission parlementaire américaine.

Pour un ancien collaborateur de la Fed qui travaille désormais dans le secteur bancaire, Daniel Tarullo a cependant tort d'être aussi confiant dans les modèles d'évaluation des risques développés par la Fed, qui évoluent d'année en année et n'ont pas été testés à l'occasion d'une nouvelle crise de grande ampleur.

La Fed a d'ailleurs reconnu des défaillances dans la dernière batterie de tests de résistance qu'elle a conduits, tout en disant qu'elles étaient mineures. Elle avait dû revoir ses calculs et publier des chiffres révisés le lendemain de la publication des résultats. (Marc Joanny pour le service français, édité par Marc Angrand)

Valeurs citées dans l'article : Citigroup Inc, JPMorgan Chase & Co., Bank of America Corp