Washington (awp/afp) - Si les nuages s'amoncellent au-dessus d'Altice en Europe, l'autre pilier de l'empire de Patrick Drahi, Altice USA, indépendant des activités européennes très endettées, doit aussi faire face à des vents contraires, son énorme dette inquiétant tout autant.

Dernier épisode en date, le ministère de la Justice du Connecticut (nord-est des Etats-Unis) a annoncé mi-mai qu'il allait poursuivre le câblo-opérateur, qu'il accuse d'imposer des "frais abusifs" à ses clients.

Interrogé par l'AFP, le groupe a estimé que ces accusations étaient "sans fondement", rappelant avoir réalisé "des centaines de millions de dollars d'investissements", notamment pour "le déploiement de la fibre" dans l'Etat.

Altice USA, construit grâce aux achats successifs de Suddenlink et Cablevision en 2015, dispose d'une présence assez large aux Etats-Unis, avec 4,9 millions de clients répartis dans 21 Etats, principalement dans l'est du pays.

Il a été pendant plusieurs années érigé en modèle à suivre par M. Drahi, pour l'ensemble des opérateurs d'Altice dans le monde, même après la séparation entre Altice USA et Altice international, réalisée en 2018.

Mais le groupe, constitué - comme pour le rachat de SFR en France - grâce à des achats à effet de levier (l'acheteur finance l'opération en endettant l'entreprise rachetée), croule également sous les dettes, d'un montant total dépassant les 24 milliards de dollars, soit 6,7 fois son excédent brut d'exploitation (Ebitda).

De quoi inquiéter les investisseurs, au point de voir l'agence de notation S&P abaisser mi-mai la note du groupe à CCC+, avec une perspective négative, s'inquiétant dans une "structure capitalistique insoutenable".

"Nous pensons que l'entreprise présente un risque de non-paiement (de sa dette, ndlr) à long terme et est dépendante de conditions commerciales, économiques et financières favorables afin de faire face à ses obligations en 2027 et plus loin", justifiait l'agence de notation.

Vers une vente?

D'autant que les résultats financiers restent décevants: le chiffre d'affaires a reculé de 6,6% depuis fin 2020 et son Ebitda de plus de 15%, tandis que le bénéfice net a été divisé par huit dans l'intervalle.

Comme le reste du secteur des câblo-opérateurs américains, Altice doit faire face à la concurrence des plateformes de streaming, de nombreux abonnés lâchant leur offre télé pour aller vers Netflix, Disney+, Amazon ou HBO Max.

Pour ne rien arranger, l'affaire Armando Pereira - l'ancien associé de M. Drahi accusé d'avoir mis en place un réseau de fournisseurs douteux dans le but de détourner d'importantes sommes d'argent via la politique d'achats du groupe - a eu des répercussions sur la rive ouest de l'Atlantique.

Yossi Benchetrit, en charge des achats aux Etats-Unis, gendre de M. Pereira et accusé d'être impliqué, a été licencié.

Signe que la confiance des marchés n'est pas au beau fixe, l'action du groupe à Wall Street s'est effondrée depuis fin 2020: alors qu'elle dépassait les 38 dollars en décembre, elle ne valait plus que 2,37 dollars à la mi-journée mardi.

Une dévalorisation qui aiguise les appétits: fin février, Bloomberg rapportait l'intérêt de Charter Communications pour Altice USA, entraînant d'ailleurs un sursaut du titre, qui s'est depuis estompé.

"Nous aurons toujours à l'oeil les opportunités de transaction mais nous restons concentrés sur le développement de notre coeur d'activité et ne voulons pas nous laisser distraire" par les rumeurs, avait répondu début mars le directeur général d'Altice USA, Dennis Mathew.

Dans l'immédiat, le groupe tente de gagner du temps en continuant à faire rouler sa dette, à un coût élevé cependant, alors que ses taux d'intérêts se sont envolés ces dernières années.

Altice USA a ainsi pu lever un peu plus de 2 milliards de dollars en début d'année pour rembourser une échéance. Mais à un taux de 11,75%, selon son rapport financier, alors que l'échéance remboursée avait été émise à un taux de 5,25%.

S'adressant aux investisseurs, M. Mathew a tenté d'apporter des gages, assurant que le groupe "regarde toutes les options permettant de faire face à la maturité de notre dette, maintenir notre structure capitalistique et soutenir nos objectifs stratégiques de long terme".

Aux Etats-Unis comme en Europe, le temps presse désormais pour Patrick Drahi.

afp/rp