Les deux sociétés ont annoncé mercredi que leurs discussions étaient à un stade avancé, même si une éventuelle fusion risque de se heurter à de nombreux obstacles.

Un rapprochement entre EADS et BAE constituerait une petite révolution pour le secteur européen de l'aéronautique et de la défense alors que les entreprises du secteur s'interrogent sur les moyens de compenser la baisse des dépenses militaires.

"Le secteur militaire n'est pas pourvoyeur de croissance en ce moment. Les budgets de l'armée ne vont pas augmenter ces deux prochaines années", a relevé Egon Behle, président du directoire du fabricant de moteurs d'avions MTU Aero Engines, lors du salon aéronautique de Berlin.

Ce marasme dans le secteur de la défense contraste avec la forte augmentation des commandes d'avions commerciaux. Airbus s'attend à ce que les compagnies aériennes mondiales achètent pour 4.000 milliards de dollars (3.100 milliards d'euros) de nouveaux appareils pendant les vingt prochaines années pour répondre à la croissance des marchés émergents et s'équiper de modèles consommant moins de kérosène.

La glissement du militaire au civil est déjà perceptible chez des sociétés comme MTU Aero Engines ou le fournisseur allemand Diehl, qui a développé son offre commerciale grâce à des acquisitions.

LOGIQUE INDUSTRIELLE

"Le monde a bien changé pour les sociétés d'armement", a soupiré mercredi Claus Günter, directeur du secteur Défense de Diehl, alors que son homologue de Diehl Aerosystems rapportait un chiffre d'affaires multiplié par quatre et une hausse de 50% du rythme de production dans son domaine d'activité.

"Nous devons faire face à une forte concurrence des autres sociétés internationales, qui cherchent toutes à développer leurs ventes en dehors de leurs marchés domestiques", a-t-il expliqué.

Dans ce contexte, une fusion avec BAE, qui équipe notamment l'armée américaine, assurerait à EADS une meilleure ouverture sur le monde.

"(Un accord) répondrait à une logique industrielle dans la mesure où BAE se sent trop exposé au secteur de la défense et où EADS cherche clairement à prendre pied aux Etats-Unis", souligne Roger Johnston, analyste chez Edison.

BAE tire 98% de ses revenus de son activité de défense et de sécurité et selon Neal Dihora, analyste chez Morningstar, les contrats publics représentent les trois-quarts de son chiffre d'affaires.

"Face à la baisse des dépenses militaires dans les pays occidentaux, il nous semble pertinent de rassembler ses forces et de réduire le nombre d'acteurs qui ont des offres similaires sur le marché", note-t-il.

MTU estime que l'armement ne devrait plus représenter que 8% de ses ventes en 2020, contre 14,6% cette année et jusqu'à 80% en 1985.

"L'activité commerciale connaît une croissance tellement rapide que le secteur militaire est marginalisé", constate Egon Behle.

CONCURRENCE AGRESSIVE

Les sociétés américaines livrent une concurrence féroce à leurs rivales dans le domaine des applications commerciales, ajoute Stefan Ohl, spécialiste de l'aéronautique chez Alix Partners.

"Elles se positionnent de manière à pouvoir proposer des volumes que les sociétés présentes sur le marché ont du mal à satisfaire et adoptent une politique de prix agressive pour remplacer au moins en partie les fournisseurs existants", détaille-t-il.

Une fusion entre EADS et BAE permettrait au nouvel ensemble de se rapprocher du modèle de Boeing, dont le chiffre d'affaires est réparti à peu près équitablement entre les avions commerciaux (36,17 milliards de dollars) et le secteur militaire, spatial et sécuritaire (31,98 milliards).

Dans sa configuration actuelle, la nouvelle entité EADS-BAE tirerait 41% de ses revenus de l'aéronautique civile et 43% du secteur défense et sécurité, selon les calculs de Deutsche Bank, le reste provenant d'autres activités, comme le secteur spatial et les hélicoptères.

Elle pourrait tabler sur des ventes d'environ 72 milliards d'euros (92,7 milliards de dollars), sur la base des chiffres de 2011, ce qui lui permettrait de dépasser Boeing et de distancer Lockheed Martin, autre grand nom américain de la défense.

Le président exécutif d'EADS, Tom Enders, a estimé cette semaine que les entreprises devraient concentrer de plus en plus leurs efforts sur le secteur civil, ce qui fait craindre à certains acteurs du marché que l'Europe ne perde son savoir-faire technologique dans le domaine militaire.

Lutz Bertling, le président d'Eurocopter, a abondé dans le sens de Tom Enders, estimant que les industriels allaient désormais privilégier le développement d'hélicoptères civils et que les appareils à usage militaire ne seraient plus que des versions dérivées de ces derniers.

Dans ce contexte, le projet de rapprochement entre EADS et BAE n'est sans doute pas le dernier à émerger.

"Les entreprises qui dépendent le plus des contrats publics vont devoir ajuster leurs capacités de production ou se développer au niveau international", a prévenu Tom Enders.

Tangi Salaün pour le service français, édité par Marc Angrand

par Victoria Bryan et Maria Sheahan