Lundi, Airbus a lancé un sévère avertissement sur ses objectifs de résultats 2024, conséquence d'une révision en baisse de ses objectifs de livraisons, en raison de pénuries de moteurs et d'autres pièces, notamment. Le titre a coulé de plus de 9% sur la séance qui a suivi l'annonce.

La star des moteurs d'avions commerciaux est CFM International, une entreprise florissante entre GE Aerospace et Safran. Elle fabrique les moteurs LEAP, qui équipent tous les B737 MAX et un peu plus de la moitié de la famille A320neo d'Airbus, le best-seller du monde aéronautique. L'autre motoriste de l'A320neo est Pratt & Whitney (une filiale de RTX Corporation, mieux connue sous son ancien nom, Raytheon), qui a connu de nombreux déboires industriels. Les problèmes de qualité sur les réacteurs PW1000G ont entraîné des rappels massifs et des frais additionnels qui se comptent en milliards pour RTX.

Assemblage

Assemblage du LEAP (Safran)

Pour faire monter en cadence sa production, Airbus a sollicité les deux motoristes, mais plus particulièrement CFM, jugé plus fiable. Le groupe paneuropéen aurait souhaité que la part de marché du LEAP passe d'environ 60% à 75%. Mais CFM a du mal à augmenter la cadence de son côté. La part de marché de la coentreprise GE/Safran dépend d'un triangle de facteurs : la cadence de production d'Airbus, la cadence de production de Boeing et la contribution de Pratt & Whitney, le rival de CFM, à la production d'Airbus. Avant la pandémie, ces facteurs étaient à peu près en équilibre, même si la part de CFM dans les livraisons d'Airbus augmentait régulièrement en raison de problèmes industriels chez P&W.

Aujourd'hui, l'industrie est confrontée non pas à un, mais à deux stress permanents : la profonde crise qui affecte Boeing et les soubresauts dans les livraisons de B737MAX, et les goulets d'étranglement chroniques chez Pratt & Whitney. CFM ne livre pas les mêmes moteurs aux deux industriels : le LEAP-1A est dédié à Airbus, tandis que le LEAP-1B équipe Boeing (et le LEAP-1C le C919 chinois de COMAC, mais qui ne représente qu'une portion congrue des commandes).

Ménager la chèvre et le chou

"CFM essaiera de satisfaire les deux parties, mais en fin de compte, elle ne fera jamais rien qui désavantage structurellement Boeing", son premier et principal partenaire, selon une source industrielle haut placée. Une autre personne connaissant bien le motoriste a déclaré que sa réticence à nuire indûment à Boeing pourrait ne pas être exprimée directement avec Airbus, mais qu'elle serait prise en compte dans les discussions internes. Un porte-parole de CFM a déclaré : "L'environnement de la chaîne d'approvisionnement reste difficile et nous nous efforçons de répondre à la demande de moteurs LEAP de tous nos clients". Il a également déclaré à plusieurs reprises qu'il ne favorisait ni Boeing ni Airbus.

CFM représente 65% du carnet de commandes d'Airbus pour la famille A320neo dans les cas où les compagnies aériennes ont choisi un moteur, et 50% des livraisons d'Airbus pour les monocouloirs en 2023, selon Rob Morris, responsable mondial du conseil chez Cirium Ascend.

CFM, un succès transatlantique

Fondée en 1974 (avec l'anniversaire des 50 ans cette année), CFM est née de l'idée d'industriels au passé guerrier coloré : Gerhard Neumann, ingénieur de chasse d'origine allemande ayant combattu pour les alliés, et René Ravaud, héros de la résistance française ayant perdu un bras lors des bombardements britanniques sur Brest. Peu connue du public, elle a traversé sans se faire remarquer les plus grandes batailles de l'industrie, notamment la guerre commerciale entre ses clients Airbus et Boeing et les relations commerciales transatlantiques houleuses.

Ligne

Ligne de production du LEAP (Safran)

Lors d'une cérémonie d'anniversaire organisée début juin, le président de Safran a rappelé à un auditoire composé notamment du ministre français des finances, Bruno Le Maire, et de hauts responsables de Boeing, l'importance de Boeing pour CFM et l'aérospatiale française.

S'exprimant dans les salons dorés de l'ancien ministère français de la marine, Ross McInnes a déclaré : "Nous avons soutenu fermement Airbus et Boeing dans leurs hauts et leurs bas respectifs, ainsi que dans les hauts et les bas des relations transatlantiques. Cette réussite n'aurait pas été possible autrement".

Airbus produit des planeurs

Lors de la conférence de présentation des raisons de l'avertissement aux analystes, le patron d'Airbus, Guillaume Faury, a notamment rappelé que la question des moteurs, "qui n'ont pas été un problème en 2023 et pas au début de 2024, deviennent à nouveau un problème important". Et à la fois chez PW et CFM, "ce qui rend notre vie beaucoup plus complexe que les situations précédentes que nous avons vues où nous avions l'un ou l'autre, mais pas les deux en même temps", a regretté le dirigeant, qui a ri jaune en soulignant qu'Airbus "produit des planeurs" actuellement.

SAF
Livraisons de moteurs LEAP par Safran depuis 2019 (8000 livraisons à ce jour, 10 000 moteurs en carnet)

Sur les gros porteurs, la situation n'est pas totalement rose non plus. "Rolls-Royce fait marginalement partie des difficultés car nous avons des problèmes d'approvisionnement avec le Trent 7000 sur le 330. Mais pas sur le 350 à ma connaissance", a indiqué Faury. Le motoriste britannique produit des moteurs Trent pour les B777 (Trent 800), les B787 (Trent 1000), les A350 (Trent XWB) et les A330neo (Trent 7000).

Le management a toutefois indiqué, concernant les moteurs pour la famille A320neo, avoir reçu le niveau requis d'engagements de la part des motoristes pour les volumes de 2025. Les volumes pour 2026 et au-delà doivent encore être confirmés.