La mort de Sergio Marchionne, à 66 ans, a suscité les éloges de la concurrence et tiré des larmes chez ses collègues les plus proches, un chagrin collectif qui fait oublier le plongeon de l'action.

Sergio Marchionne, tombé gravement malade à la suite d'une intervention chirurgicale à l'épaule, selon les informations données par la société, aurait dû démissionner en avril 2019 mais avait été remplacé samedi dernier par Mike Manley, le patron britannique de la division Jeep de FCA, en raison de la dégradation de son état de santé.

La présentation des comptes du deuxième trimestre, faite par Mike Manley, ex-bras droit de Sergio Marchionne, s'est faite mercredi après-midi après avoir observé une minute de silence.

L'action FCA perdait 14% en fin de séance, les investisseurs digérant mal une baisse inattendue de 35% du bénéfice net trimestriel, ressorti bien en dessous des attentes du marché, et une révision à la baisse des objectifs annuels.

"Malheureusement, ce que nous redoutions est arrivé. Sergio Marchionne, l'homme et l'ami, s'en est allé", déclare dans un communiqué John Elkann, représentant de la famille Agnelli et président de FCA.

Sergio Marchionne, réputé avoir sauvé tant Fiat que Chrysler de la faillite, avait eu pour première priorité de redresser les finances du groupe, notamment en effaçant sa dette.

Pour la plus grande satisfaction des investisseurs et de la famille Agnelli, il était parvenu en 14 ans à multiplier par 11 la valeur de Fiat, grâce en partie aux scissions réussies de la filiale de tracteurs CNH Industrial puis de Ferrari.

Une autre scission, celle de l'équipementier Magneti Marelli, est prévue cette année et devrait à son tour augmenter la génération de valeur.

"La meilleure manière d'honorer sa mémoire est de s'appuyer sur l'héritage qu'il nous a laissé, en continuant de développer les valeurs humaines de responsabilité et d'ouverture dont il a été le plus ardent défenseur", ajoute John Elkann.

"UN VÉRITABLE GÉANT"

Quant à Mike Manley, le nouvel administrateur délégué de FCA, il s'est attelé à faire de Jeep une marque internationale et compte maintenant mettre en oeuvre la stratégie de la société mère dévoilée le mois dernier.

Le constructeur a dit mercredi que Mike Manley s'emploierait à assurer au groupe un avenir "fort et indépendant".

Les derniers résultats trimestriels donnent une idée de la tâche qui attend le nouveau patron de FCA, en particulier en Chine où le constructeur ne parvient pas à percer.

Le plan dévoilé en juin par Sergio Marchionne prévoit d'augmenter la production de SUV et d'investir dans les véhicules électriques et hybrides afin de doubler le bénéfice d'exploitation d'ici 2022.

Il fixe des objectifs ambitieux à Jeep, vache à lait de FCA, mais est plus flou pour Ferrari, que Sergio Marchionne devait à l'origine diriger jusqu'en 2021.

Sergio Marchionne a ressuscité l'une des marques les plus connues d'Italie et a redonné des couleurs à Chrysler, réussissant là où les deux précédents propriétaires du constructeur américain, Daimler et le fonds de capital-investissement Cerberus, avaient échoué.

"Sergio Marchionne était l'un des leaders les plus respectés de l'industrie, dont la créativité et la détermination farouche ont permis de rétablir la santé financière de Chrysler et de faire de Fiat Chrysler un constructeur international rentable", a déclaré Bill Ford, président de Ford Motor.

Carlos Tavares, président du directoire de PSA, s'est dit "profondément attristé de cette disparition" et a salué "la mémoire d’un grand capitaine d’industrie qui demeurera un exemple pour nous tous".

"C’est avec tristesse que les équipes de Renault-Nissan-Mitsubishi ont appris le décès de Sergio Marchionne", a dit de son côté Carlos Ghosn, PDG des trois groupes automobiles .

Quant à Dieter Zetsche, le patron de Daimler, il a écrit sur LinkedIn : "L'industrie automobile a perdu un véritable géant et beaucoup d'entre nous ont perdu un ami très cher."

INDÉPENDANT, MAIS SOUPLE

Sergio Marchionne a également refondu en profondeur les organigrammes, remaniés suivant une philosophie de la méritocratie, et a opéré des coupes claires en réduisant le nombre d'architectures de véhicules et en créant des coentreprises pour partager les coûts de développement et les charges fixes.

Réputé dur en affaires, Sergio Marchionne avait obligé General Motors en 2005 à verser à Fiat deux milliards de dollars pour qu'il n'exerce pas son option de vendre sa division automobile au constructeur américain, un fait d'armes qui ne l'a pas forcément aidé dans ses approches collaboratives ultérieures.

Les résultats opérationnels de Sergio Marchionne se sont avérés un peu moins brillants que sa capacité à conclure des accords. La rentabilité en Europe s'améliore mais peu à peu, tandis que FCA n'a pas encore vraiment percé en Chine et qu'Alfa Romeo n'a toujours pas dégagé de bénéfices.

En revanche, il n'a pas hésité à arrêter en Amérique du Nord la production de berlines non rentables et à rééquiper les chaînes de montage pour qu'elles produisent des SUV et des pick-up bien plus rentables, inspirant ainsi les concurrents Ford et GM.

Si Mike Manley a souligné que l'ambition du groupe était de demeurer indépendant, il a ajouté qu'il resterait aussi "souple" sur toute nouvelle opportunité de rapprochement.

PSA, qui a exploré par le passé un scénario potentiel avec FCA avant de racheter Opel, s'est lui aussi dit ouvert "à toutes les propositions", fort des résultats record publiés la veille par le constructeur français.

"Je ne fais aucune, aucune fixation sur Fiat Chrysler, ni sur un autre groupe", a souligné Carlos Tavares dans une interview aux Echos publiée mercredi, tout en rappelant que les actionnaires de Fiat Chrysler "se sont prononcés à plusieurs reprises sur le fait que PSA n'est pas le bon partenaire potentiel pour eux".

(Véronique Tison, Marc Joanny et Wilfrid Exbrayat et Gilles Guillaume pour le service français, édité par Dominique Rodriguez)

par Agnieszka Flak