par Axel Bugge

La rigueur imposée lors de deux précédentes interventions du FMI, dans les années 1970 puis 1980 lors du retour à la démocratie dans le pays après plusieurs décennies de pouvoir militaire, explique pour une large part pourquoi éviter un plan de sauvetage est une question d'orgueil national malgré les difficultés financières de Lisbonne.

La plupart des économistes et des analystes interrogés par Reuters estiment que le Portugal, confronté à des coûts d'emprunt de plus en plus prohibitifs, n'aura pas d'autre choix que de demander le soutien financier de l'Union européenne et du FMI, comme la Grèce et l'Irlande ont dû s'y résoudre en 2010.

Signe encourageant dans la crise de la dette souveraine qui ébranle la zone euro, le Trésor portugais est parvenu mercredi à placer sans difficulté près de 1,25 milliard d'euros d'obligations d'échéance 2014 et 2020, la quasi-totalité du montant annoncé, la demande ayant été très forte.

Le Premier ministre socialiste José Socrates a réaffirmé mercredi que son pays n'avait pas besoin d'aide extérieure pour consolider ses finances, et que le déficit public portugais serait moins élevé que prévu en 2010, en deçà de 7,3% du produit intérieur brut (PIB).

"Nous n'avons pas besoin d'aide. Nous sommes capables de faire le travail nous-mêmes", a-t-il déclaré à la presse à Francfort.

La question d'un sauvetage s'est invitée dans la bataille électorale pour la présidence du Portugal, certes largement honorifique. Chacun des deux principaux candidats a utilisé ce thème pour tenter de discréditer son rival en vue du scrutin prévu le 23 janvier.

Le président Anibal Cavaco Silva (centre-droit), dont la réélection semble probable, s'en est violemment pris aux socialistes au pouvoir. "Il est très clair que si le FMI s'en mêle, le gouvernement aura échoué", a-t-il déclaré mardi.

Le socialiste Manuel Alegre, qui ne semble pas en mesure de pousser l'actuel chef de l'Etat au ballottage selon les sondages, a invité Anibal Cavaco Silva à suspendre la campagne le temps de régler la question d'un éventuel sauvetage.

"Il est question de défendre la souveraineté et les droits de la nation face aux pressions de pouvoirs sans visage", a-t-il déclaré.

"DÉSENCHANTEMENT IMMÉDIAT"

De nombreux Grecs et Irlandais en ont voulu à leurs gouvernements respectifs après le recours à une aide internationale. Au Portugal, un tel choix pourrait être encore plus vivement ressenti, dans une démocratie relativement jeune où les progrès sociaux sont assez récents.

La fin du régime d'Antonio Salazar en 1974, après 48 ans de pouvoir militaire, a offert une bouffée d'air frais dans un pays longtemps isolé et économiquement en retard.

Le Portugal a mis la barre à gauche toute, créant un système d'aides sociales plus large et plus généreux que dans beaucoup d'autres démocraties occidentales. Mais l'état de grâce a été de courte durée et l'intervention du FMI en 1977 a symbolisé l'échec des espoirs nés de la "Révolution des Oeillets", note Antonio Costa Pinto, de l'université de Lisbonne.

"Cela a marqué la fin des avancées sociales pour une large partie de la population", explique-t-il, évoquant la baisse des dépenses publiques, la réduction du pouvoir d'achat des ménages et la dévaluation monétaire mises en place sous l'égide du FMI.

"C'était une recette de type latino-américaine, cela a généré un désenchantement immédiat avec le retour au capitalisme."

Le FMI est intervenu une nouvelle fois en 1983 pour injecter une nouvelle dose d'austérité au Portugal.

Le souvenir de ces mesures, dans l'un des pays les moins fortunés d'Europe occidentale, explique que les Portugais focalisent leur attention sur "l'arrivée du FMI" même si un éventuel plan de sauvetage serait mené sous l'égide de l'UE.

L'émotion suscitée par les difficultés actuelles de Lisbonne devrait rester à son comble à l'approche de l'élection présidentielle, même si c'est le gouvernement qui aura le dernier mot en la matière.

L'orgueil national blessé pourrait alors laisser la place à un autre trait caractéristique de la culture portugaise, la résignation face à un destin contraire, qu'expriment avec beauté les tristes mélodies du fado.

Jean Décotte pour le service français, édité par Dominique Rodriguez