BERLIN (Reuters) - L'Allemagne a convoqué mercredi l'ambassadeur de Russie à Berlin et expulsé deux membres de l'ambassade dans la foulée d'un jugement accusant la Russie d'avoir ordonné l'assassinat d'un Géorgien d'origine tchétchène en août 2019 dans un parc de la capitale allemande.

Moscou a déploré un geste "inamical" et promis de riposter, a rapporté l'agence Interfax.

La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a déclaré que le meurtre de Tornike Khangochvili, pour lequel un ressortissant russe, Vadim Krasikov, a été condamné mercredi à la réclusion à perpétuité par un tribunal de Berlin, constituait une violation grave du droit et de la souveraineté allemands et endommagerait sérieusement les relations entre Moscou et Berlin.

"Nous avons donc convoqué l'ambassadeur de Russie", a-t-elle dit. "Nous l'avons informé que deux membres de l'ambassade seraient déclarés 'personae non gratae'."

Tornike Khangochvili a été tué de trois balles tirées à bout portant à l'aide d'un pistolet Glock en août 2019 en représailles à son rôle de dirigeant de la rébellion séparatiste tchétchène contre Moscou dans les années 2000, a déclaré le président de la Cour de Berlin, Olaf Arnoldi.

Le tribunal a estimé que le meurtre avait été commandité par le gouvernement russe.

"En juin 2019 au plus tard, les organes d'Etat du gouvernement central de la Fédération de Russie ont pris la décision de liquider Tornike Khangochvili à Berlin", a déclaré le juge Arnoldi.

"Khangochvili avait abandonné la lutte contre la Fédération de Russie il y a des années. Il n'avait plus tenu une arme entre ses mains depuis 2008", a ajouté le magistrat. "Ce n'était pas un acte de légitime défense de la part de la Russie. Ce n'était rien de moins que du terrorisme d'Etat."

MOSCOU DÉNONCE UN VERDICT POLITIQUE

L'ambassade de Russie à Berlin a dénoncé un verdict "non objectif et politiquement motivé", a rapporté l'agence Tass.

En 2019, le président russe Vladimir Poutine avait qualifié Tornike Khangochvili de "terroriste sanglant", l'accusant de plusieurs crimes dont un attentat dans le métro de Moscou qui avait fait 10 morts en 2004.

Un avocat de Vadim Krasikov a maintenu que ce dernier ne s'appelait pas Krasikov mais Vadim Sokolov, un ingénieur en construction de Saint-Pétersbourg.

Il a promis une décision sur l'opportunité de faire appel d'ici une semaine, estimant que le dossier contre son client était bâti sur des conjectures et non des preuves.

Le juge Arnoldi a reconnu que Khangochvili, qui vivait en exil depuis une précédente tentative d'assassinat à Tbilissi, la capitale géorgienne, en 2015, avait lui-même du sang sur les mains.

Mais il a qualifié son meurtre de crime "extrêmement grave", une opération selon lui "professionnelle" qui n'aurait pu être menée à bien sans une assistance locale à Berlin.

Vadim Krasikov était arrivé en août 2019 à Berlin en provenance de Paris, muni d'un faux passeport et de plusieurs milliers d'euros en liquide.

Il avait tué Khangochvili alors que ce dernier faisait du vélo dans un parc de Berlin. Il s'était ensuite caché dans un bosquet, où il avait retiré des vêtements noirs et une casquette de base-ball, s'était taillé la barbe avant de revêtir des habits de touriste, a déclaré le tribunal.

La présence de plusieurs témoins a cependant fait échouer son plan, a expliqué le juge Arnoldi. La police a interpellé Krasikov et ses vêtements, l'arme du crime et la bicyclette de Khangochvili ont été repêchés dans une rivière à proximité.

S'agissant de son identité, le juge Arnoldi a déclaré que des photos de son mariage en Ukraine et des photos de ses tatouages prouvaient que le détenteur de faux papiers était incontestablement l'homme identifié par les autorités comme un agent du FSB, le service de sécurité russe.

Le fait que Vadim Krasikov ait obtenu des faux papiers environ un mois avant le meurtre démontre qu'il avait le soutien de l'Etat russe, a encore estimé le magistrat.

(Reportage Thomas Escritt; version française Jean-Stéphane Brosse, édité par Jean-Michel Bélot)

par Thomas Escritt