Les turbulences actuelles sur la zone Euro, liées au niveau d'endettement des pays du Sud de l'Europe, ont affolé ces derniers jours les marchés financiers. Elles mettent les Etats-nations sous tension et nous font ainsi brusquement oublier 60 ans de construction européenne en plaçant précisément l'Etat-nation et sa crédibilité au centre du jeu ! Quel brusque retour en arrière !

Loin des discours pessimistes de ces dernières semaines, il est utile de revenir aux fondements de la construction européenne et ainsi mettre un peu d'ordre dans cette cacophonie de jeux stratégiques sans précédents sur le niveau d'endettement de quelques Etats.

D'abord, cette situation était facilement prévisible puisque la crise financière a entrainé un transfert de risques de la plupart des grands acteurs financiers vers les Etats, qui ont, de surcroît, mis en œuvre de vastes plans de relance pour amortir le choc de cette crise sur la sphère réelle. Ils ont ainsi pris à contre-pied les scenarii des années 1929, en évitant de plus d'ébranler les acquis subtils de l'OMC par la mise en œuvre de politiques protectionnistes. Il est donc permis de penser qu'une taxation adaptée des institutions financières, qui ont largement bénéficié de la puissance publique, directement ou indirectement via le « containment » du risque systémique, serait une bonne chose, comme semblent en témoigner les comptes-rendus des derniers débats du G7 à Iqualuit (Canada).

Ensuite, prenons à contre-pied la tendance : cette crise de confiance de la zone Euro est une bonne chose : elle révèle les faiblesses d'une construction politique qui fête ses 20 ans et est inachevée : le Chancelier Helmut Kohl voulait donner des garanties à François Mitterrand face aux craintes d'une réunification allemande : l'Euro fut ce bébé de l'amitié franco-allemande. De manière plus technique, il se substituait à la zone Mark qui prévalait jusqu'alors en Europe de l'Ouest et visait à promouvoir une stabilité monétaire loin des aléas du dollar.

Mais bâtir une union monétaire sans contrepartie politique consistante, en particulier du côté de la coordination des politiques budgétaires et des transferts, est risqué : nous le voyons aujourd'hui ! Ce résultat des années 1960, qui a valu le prix Nobel d'Economie R. Mundell, renvoie à la théorie des zones monétaires optimales : dans le cas d'une intégration monétaire régionale, des variables d'ajustement réagissent : migrations, taux de change, niveaux des transferts et niveau de productivité… Or, avec la zone Euro, seul la variable d'ajustement du coût unitaire de travail (productivité) peut agir, les migrations étant faibles en zone euro, les taux de change supprimés et les transferts très limités ! Or dans un contexte social tendu comme celui de la Grèce, de l'Espagne ou du Portugal aujourd'hui, comment imaginer une action forte sur la seule variable de coût unitaire du travail ? Impossible !

La zone Euro dans l'impasse ? Non, car un budget fédéral conséquent, et donc des transferts, devraient pouvoir consolider ce fragile équilibre, en absorbant les chocs asymétriques par des transferts budgétaires ou sur le revenus. Mais pour cela, il faut un Pacte de Stabilité et de Croissance démultiplié avec l'affirmation d'une « hard budget constraint » ou contrainte budgétaire forte comme on peut l'observer dans les pays fédéraux (Canada par exemple). Dans ce pays, les Provinces ont une réelle autonomie fiscale et budgétaire et les inégalités interprovinciales sont réduites par de puissants transferts budgétaires et sociaux bien pensés du Gouvernement Fédéral d'Ottawa. De plus, le marché joue comme une force de rappel redoutable sur les politiques budgétaires provinciales un peu laxistes qui ne tardent pas à retrouver la vertu de l'équilibre budgétaire.

Pourquoi l'Union Européenne, ou la zone Euro à moindre grande échelle, ne pourrait-elle pas évoluer dans ce sens ? Et si les marchés demandaient plus d'Europe, plus de fédéralisme budgétaire et de choix à long terme ! Inscrire donc dans la Constitution, comme a commencé à la faire l'Allemagne, des limites fortes au déficit budgétaire semble un premier pas… mais il faut aussi achever la maison Euro et bâtir enfin un véritable fédéralisme budgétaire européen ! Et sur cette question, l'Allemagne, comme pour la naissance de l'Euro, a un leadership naturel et doit reprendre l'initiative.

Laurent Guihéry