par Ben Blanchard

PEKIN, 11 février (Reuters) - En maniant à la fois la menace publique et la diplomatie en coulisses, la Chine a arraché une concession de taille aux Etats-Unis en obtenant de Donald Trump qu'il ne conteste pas ses ambitions ultimes sur Taïwan, mais cela n'annonce pas forcément une victoire aussi nette de Pékin dans les autres dossiers chauds entre les deux super puissances.

Les désaccords entre Washington et Pékin concernant la devise chinoise, le yuan, le commerce, la souveraineté en mer de Chine méridionale et la Corée du Nord n'ont pas été mentionnés dans les déclarations publiques qui ont suivi la conversation qu'ont eue jeudi soir le président américain Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping. En obtenant de Donald Trump qu'il s'en tienne à la politique d'"une seule Chine" dont Taïwan a à terme vocation à faire partie, Pékin a peut-être joué son va-tout.

Cet entretien téléphonique - le premier entre les deux présidents - doit beaucoup à l'intervention discrète de l'ancien ambassadeur de Chine aux Etats-Unis et ancien ministre chinois des Affaires étrangères Yang Jiechi auprès du conseiller de Donald Trump à la sécurité nationale, Michael Flynn. Le très urbain Yang Jiechi est très à l'aise en anglais.

"La Chine s'est montrée pragmatique et patiente. Elle a tout fait pour apaiser les relations, et cela a payé", commente Jia Qingguo, doyen de l'Ecole des études internationales à l'université de Pékin, qui a été conseil du gouvernement chinois pour la politique étrangère.

Parallèlement, la Chine a fait très clairement comprendre que la question de Taïwan n'était pas négociable, utilisant la presse pour lancer des menaces de guerre et de sanctions à l'encontre des sociétés américaines si cette ligne rouge était franchie.

COEUR GLACÉ

L'Armée populaire de libération s'est mise en alerte et a même envisagé des mesures pour empêcher l'île de se diriger vers l'indépendance, avait-on indiqué à Reuters fin décembre après la fameuse conversation téléphonique Tsai-Trump du 2 décembre dernier.

Ce jour-là, rompant avec les usages, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, dont le Parti démocrate progressiste (DPP) est favorable à l'indépendance officielle de l'île, a téléphoné au président américain-élu pour le féliciter et celui-ci a accepté l'appel. Donald Trump a enfoncé le clou une dizaine de jours plus tard en disant que les Etats-Unis n'étaient pas forcément tenus de se conformer au principe d'une seule Chine.

Une source proche de la façon de penser de la Chine en ce qui concerne les relations avec les Etats-Unis avait expliqué que le mois dernier que la Chine n'était en fait pas trop inquiète des commentaires de Donald Trump sur Taïwan parce qu'il n'était pas encore officiellement à la Maison blanche quand il les as tenus mais que, s'il continuait une fois investi le 20 janvier, la Chine "ne pourrait pas dire ce qu'elle ferait".

Malgré le recul de Donald Trump jeudi, Pékin maintient la pression.

Samedi, l'édition étrangère du Quotidien du peuple, organe officiel du Parti communiste chinois, affiche en première page, une photo de navires de guerre chinois sur le point de se lancer dans une nouvelles série de manoeuvres en mer de Chine méridionale, juste à côté d'un commentaire très positif sur la conversation de jeudi soir entre Xi Jinping et Donald Trump.

Et le compte du journal sur WeChat va plus loin et dit que maintenant que Donald Trump est revenu sur la ligne d'une seule Chine, Taïwan ferait mieux de faire attention.

"Le coeur de cette Madame Tsai de l'autre côté du détroit de Taïwan doit, en ce moment, être complètement glacé", lit-on.

Selon un diplomate occidental, la Chine redouble maintenant d'efforts pour convaincre le Vatican, un des rares Etats qui conserve des relations officielles avec Taïwan.

Les dirigeants chinois ont réussi à convaincre Donald Trump du bien-fondé de la politique de la Chine unique, mais cela n'augure pas forcément d'un recul de la nouvelle administration américaine sur les contentieux économiques, parce que Donald Trump ne voudra pas forcément être vu comme ayant cédé.

"M. Trump est imprévisible, rappelle Tom Rafferty, directeur pour la Chine de l'Economist Intelligence Unit, du groupe de presse The Economist. "Il n'appréciera pas qu'on lui suggère qu'il a été faible." (Avec Michael Martina et J.R. Wu à Taipei et Matt Spetalnick à Washington; Danielle Rouquié pour le service français)