"Quel regard portez-vous sur la production de blé dans le monde pour la nouvelle récolte 2012/2013 ?
Selon l'IGC, la production de blé, tous types confondus, à l'issue de la récolte 2012/2013 devrait être de 681 millions de tonnes contre 696 millions de tonnes l'année dernière. Au sein de l'Union européenne la production est attendue à 138,9 millions de tonnes dont 133 millions de tonnes de blé tendre. Nous sommes davantage sur une prévision de 135 millions de tonnes.
La baisse de la production a plusieurs origines. En premier lieu, la baisse d'assolement du blé de printemps aux Etats-Unis. En second lieu, nous avons observé des pertes de superficie en Europe. Les grands pays producteurs ont été touchés par une importante vague de froid. A succédé à cela, notamment en France, un grand déficit hydrique. Il va falloir que l'on ait un printemps pluvieux pour assurer un bon rendement.

La situation en France vous inquiète-t-elle ?

Oui, quelque peu. La plante a déjà dû subir l'hiver. Pour son bon développement, pour l'absorption des engrais, de l'eau sera nécessaire. Le spectre de la sécheresse peut occasionner des dégâts beaucoup plus importants. Nous sommes en véritable vigilance. C'est la raison pour laquelle le prix reste soutenu.
Nous avions un potentiel de production pour la France autour de 36,5 millions. Nous tablons aujourd'hui sur une production autour de 34 millions de tonnes.

Au-delà de l’Hexagone, nous devrions également perdre du volume en Allemagne et dans des pays de l’est comme la Pologne ou l’Ukraine.

Quel niveau de production peut-on escompter si le déficit hydrique perdure, voir s'accentue ?
La baisse des surfaces couplée (dépassant -5%) à une baisse du rendement (historique de rendement de 2003 à 64 q/ha) conduirait dans un scénario catastrophe à voir la production française de blé tendre chuter autour de 30 Mt.

De manière surprenante, la seule matière première sur laquelle les fonds spéculateurs américains sont nets vendeurs est le blé… Qu’en pensez-vous ?
Les fonds ont depuis longtemps une position short sur le marché. Ils sont haussiers sur les produits oléagineux et le maïs.
Cette position s’explique par le fait que les stocks de blé sont bien plus élevés qu'en 2008. Il y a de ce fait moins de stress. En 2008, nous étions autours de 167 millions de tonnes de blé tendre d'après l'USDA. L'IGC tablait sur un stock de 173 millions de tonnes (blé tendre et blé dur). Nous nous attendons cette année à avoir un stock de 210 millions de tonnes. Il y a donc un différentiel d'environ 40 millions de tonnes. Cela représente un supplément de 15%.

Ce qui n’est pas le cas du maïs, et des oléagineux comme le colza ou le soja.

Nous sommes donc en face d’un arbitrage…

Absolument. Les investisseurs ne sont pas forcément positifs sur les fondamentaux du blé. Ils sont toutefois moins alarmistes sur les fondamentaux du blé que sur les fondamentaux du mais, du colza ou du soja compte tenu du bilan, et des perspectives d'évolution de la consommation.

Sur le maïs, la situation se veut contrastée en Chine et aux Etats-Unis. S’agissant de l’Empire du milieu, nous avons eu d’un côté l’annonce par le gouvernement chinois d’une production record, avec six mois d’avance au niveau de la récolte. D’un autre coté, des communiqués provenant des Etats-Unis indiquaient des problèmes importants rencontrés par le pays ?
Il est clair que l'évolution de l'offre et de la demande de la Chine sera à suivre avec attention.
Même si le pays a du stock, il va devoir le reconstituer en raison d’une consommation élevée. La Chine sera contrainte à augmenter ses importations. Ce d’autant plus qu’il y a d’importants problèmes au niveau de la production, en raison d’un manque d’eau.

Il a été avancé la nécessité pour la Chine d’importer plus de 9 millions de tonnes de maïs cette année ?
Les américains qui sont d’importants exportateurs. Ils ont tout intérêt à gonfler ce chiffre de 9 millions. La réalité se situe très probablement autour de 6 - 8 millions de tonnes, ce qui est déjà très conséquent.
Le pays importait par le passé à peine 1 millions de tonnes.
La nécessité de ces importations se fera d’autant plus ressentir qu’il existe un large écart entre le prix du mais américain et le prix du mais chinois. Le mais américain cote 280 dollars alors que le mais chinois cote 390 dollars. Entre les deux nous avons théoriquement 45 dollars de fret.

Comment expliquez-vous cet écart ?
C’est une tendance courante pour les matières premières agricoles en Chine. Les prix élevés sur le marché intérieur sont destinés à compenser les couts d’infrastructure, et les faibles rendements et donc à permettre une certaine rentabilité des exploitations par des marges de production.
Le recours aux importations pour les chinois sert deux intérêts. Le premier intérêt, à l’instar de ce que l’on a vu avec la viande porcine, est liée au la satisfaction de la forte demande. Le second intérêt est relatif à la volonté de limiter la flambée des prix intra muros et en cela de cantonner les pressions sociales.

La situation étasunienne sur le maïs est également relativement contrastée?
Un facteur positif pour une importante production de mais cette année aux Etats-Unis réside dans l’estimation donnée de la superficie semée. L’USDA a signalé 95, 9 millions d’acres de superficie, en augmentation de 4% par rapport à 2011.
Ce n’est là qu’une projection. Il n’est pas possible de garantir que ce chiffre de près de 96 millions d’acres soit gravé dans le marbre.

Pour certains experts, parce que le ratio prix du maïs sur prix du soja est en faveur du soja, à 2,5/2,6, les assolements américains de soja pourraient évoluer à la hausse au cours des prochaines semaines au détriment des assolements de maïs ?
Quand bien même le prix du soja viendrait à progresser encore significativement, les fermiers américains ont dors et déjà pris leur décision dans leur choix d’assolement. Les semis de mais ont débuté et les applications d’engrais ont été réalisés.
L’arbitrage de ces fermiers sera donc marginal. Il concernera une surface limitée.

Nous sommes à 3% de mais semé à l’heure actuelle ?
Il y a certes un potentiel énorme a priori. Cependant, il ne suffit pas d’avoir des hectares de disponibles pour vouloir cultiver du soja. Les semences doivent être disponibles. La préparation du sol doit être adaptée.
Par conséquent, nous ne voyons pas l’estimation de l’USDA en termes de superficie de production pour le mais baisser de manière importante. Nous pourrions passer de 95 millions à 93 millions d’acres. Nous resterons tout de même dans une situation très confortable.
A présent, qui dit importante surface de production, ne dit pas importante production pour autant.

Les rendements ne sont pas gagnés d’avance…

Tout à fait. En 2011, nous avions eu des surfaces en hausse. Les rendements se sont avérés en baisse, à 147 boisseaux à l’acre (contre 164 boisseaux à l’acre en 2009).

Si nous avons un rendement moyen, soit 150 boisseaux à l’acre, le stock reconstitué sera alors abondant et toutes les tensions sur le mais seront étouffées. Néanmoins si le rendement s’avère bas, alors le stock reconstitué sera faible et les tensions persisteront.
Actuellement, la graine est en train d’être semée. Nous aurons une visibilité sur l’état de la semence uniquement à partir de la fin du mois d’avril.
Par la suite la construction du rendement se fait progressivement. A plus de six mois de la récolte, nous pouvons difficilement être certains du rendement. Celui peut perdre de 5 à 10%.

Qu’anticipe le marché aujourd’hui ?
Le marché table sur un rendement moyen. Il n’imagine pas retrouver un rendement comparable à celui de l’année dernière. C’est ce qui explique que le mais nouvelle récolte cote par rapport à la récolte actuelle quasiment un dollar de moins.

Quelle vision avez-vous sur le marché du soja ?
La matière première sera à suivre de près pour les mois à venir. Le prix pourrait sensiblement augmenter pour les opérateurs contraints à acheter la marchandise.
Le marché du soja est tendu sur la récolte actuelle dans l’hémisphère sud.
La production américaine est, en outre, attendue similaire à cette année. Elle ne sera disponible qu’en octobre, novembre. Plus on sera amené à puiser dans les stocks pour répondre aux besoins, plus les stocks disponibles seront réduits, et plus les tensions seront exacerbées.
Le potentiel de hausse est toutefois limité car le marché a déjà bien intégré ces tensions depuis décembre 2011.

Que représentent les Etats-Unis dans la production mondiale de soja ?

Sur une production mondiale de 250 millions de tonnes, les Etats-Unis représentent entre 80 et 90 millions de tonnes. En 2011/2012, la production a été de 83 millions de tonnes. Il me parait difficile de retrouver 90 millions de tonnes cette année.
Le Brésil et l’Argentine à eux deux font plus que les Etats-Unis. Ces deux pays sont, qui plus est, des fournisseurs importants de l’Europe.

A présent qu’escomptez-vous sur le marché du colza ?
Les arguments pour une hausse du prix du colza sont multiples. Les stocks sur la récolte actuelle sont bas. D’importantes incertitudes pèsent sur la récolte en Europe. Ils y a peu d’acteurs susceptibles de compenser les besoins.
Ceci étant des risques peuvent compromettre la forte hausse du prix du colza.
Le marché du colza intéresse les triturateurs qui font de l’huile, les estérificateurs pour le biodiesel. En 2007, le prix du colza était monté tellement haut que les acteurs ont décidé de diminué leur consommation.
Dès lors à consommation constante, nous aurons bien des tensions, mais si la consommation se réduit drastiquement justement en raison de l’augmentation du prix, alors, le bilan se rééquilibrera.

A force d’excès, le marché peut finir par lâcher et revenir à la case départ avec les mêmes fondamentaux. Il ne faut pas négliger l’impact possible du prix élevé sur la demande. Nous avons déjà pu observer des situations ultra tendues engendrer un changement de rythme dans les besoins et des baisses de consommation qui ont conduit à dégonfler les marchés.
L’effet rareté n’est pas suffisant.

Le colza est-il aisément substituable ?
Il est possible de le remplacer en tournesol, en palme. Certains opérateurs peuvent aussi préférer ne pas faire tourner leur usine dans le cas où leur huile n’est pas achetée à un prix qui leur semble convenable.
La demande pourrait baisser ainsi d’un douzième.
A l’heure actuelle le colza cote 500 euros la tonne. A 520 euros, le prix commencera à être douloureux.

Au delà de l’évolution de la demande de colza qui sera influencée par l’évolution du marché de l’huile, la variation du prix du tourteau de colza peut également impacter le prix de la matière première ?

Les tourteaux de colza peuvent augmenter et offrir aux triturateurs la possibilité de rémunérer plus la graine.
Le prix de ces tourteaux sera très étroitement lié au prix des tourteaux de soja.
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