par Tom Perry et Alexander Dziadosz

LE CAIRE/MINYA, 20 août (Reuters) - Les assaillants qui ont tiré des roquettes RPG sur le commissariat d'un village proche du Caire, et tranché la gorge d'un policier, ont laissé cet avertissement sur le mur: "Voici la peine réservée aux oppresseurs."

L'attaque s'est déroulée quelques heures seulement après l'assaut lancé par les forces de l'ordre contre deux campements des sympathisants du président déchu Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, une opération qui a fait plusieurs centaines de morts mercredi dernier.

Ces violences, et celles qui ont éclaté par la suite dans tout le pays, font craindre le réveil des mouvements islamistes armés sur les bords du Nil, après l'échec de leur insurrection des années 1990.

"Vous avez déjà vu des images de guerre à la télévision? C'est à cela que ça ressemblait", raconte un homme devant le commissariat aux murs criblés de balles de Kerdassa.

Selon les autorités, neuf policiers ont été tués pendant l'attaque lancée dans ce village proche des pyramides de Guizeh, où les islamistes ont fait de gros scores électoraux ces deux dernières années.

Des habitants de Kerdassa racontent avoir recueilli chez eux des policiers terrifiés, qu'ils ont aidé à fuir en leur donnant des habits civils.

Les carcasses calcinées de treize véhicules, dont deux blindés, reposent devant le commissariat abandonné. Il n'y a aucun policier en vue.

Une vingtaine de commissariats ont ainsi été attaqués ce jour-là dans toute l'Egypte, dont au moins deux à coups de roquettes RPG. Aucune de ces attaques n'a été revendiquée.

La péninsule du Sinaï est déjà depuis des année le théâtre d'une insurrection islamiste. Lundi, 25 policiers y ont été tués dans une embuscade près de Rafah, l'attaque la plus meurtrière jamais subie par les forces de sécurité.

Mais la multiplication des attaques dans la vallée du Nil et dans les villes sur les bords du canal de Suez font craindre que les violences, jusqu'alors contenues dans des zones désertiques et décentralisées, ne gagnent les régions densément peuplées.

ZONES DE GUERRE

Certaines villes de la province de Minya, à 200 km au sud du Caire, ressemblent déjà à des zones de guerre où commissariats, églises coptes et autres bâtiments officiels sont les cibles d'une violence persistante depuis mercredi.

Des militants ont également frappé près du canal de Suez, tuant au moins sept policiers. La circulation maritime sur cet axe stratégique n'a pas été affectée, mais la police et l'armée sont déployées massivement pour protéger jusqu'aux stations d'essence.

Les armes, dont beaucoup ont afflué de Libye depuis la chute de Mouammar Kadhafi, sont désormais abondantes et peu chères. Et avec sa propagande bien rodée sur Internet, Al Qaïda, dirigée depuis la mort d'Oussama Ben Laden par le djihadiste égyptien Ayman al Zaouahri, ne devrait pas avoir trop de mal à trouver des volontaires sur les bords du Nil.

"Pour Al Qaïda, c'est un bon moment pour recruter", constate le chercheur Khalil el Anani, spécialiste de l'islamisme au Middle East Institute de Washington.

Les autorités du Caire accusent les Frères musulmans de terrorisme et affirment qu'elles n'avaient pas d'autre choix que d'intervenir contre les sit-in qui représentaient, selon elles, une "menace pour la sécurité nationale".

La confrérie, qui a renoncé il y a des décennies à la lutte armée pour privilégier l'action politique et sociale, mais a multiplié depuis ce qu'elle a qualifié de "coup d'Etat" contre Mohamed Morsi les appels au "martyr", rejette de telles accusations.

Certains islamistes accusent le pouvoir d'avoir délibérément provoqué la violence pour justifier la répression - un scénario comparable, selon eux, à celui des années 1990.

Quand bien même les Frères musulmans qui parlent de "résistance pacifique" seraient sincères, ils ne peuvent pas contrôler la colère des éléments les plus radicaux et la désorganisation de la confrérie, dont tous les principaux dirigeants ont été arrêtés, rend plus probable la formation de groupes dissidents.

TERREAU FERTILE

"L'Egypte est un terreau fertile", souligne Yasser el Sirri, un islamiste égyptien condamné à mort dans les années 1990, qui vit en exil à Londres. "Il n'y a pas que le Djihad islamique ou d'autres organisations (actives dans les années 1990). Celles-là n'existent plus. Mais quand l'une meurt, une autre apparaît."

Les appels à la lutte armée en Egypte se sont multipliés ces dernières semaines sur les forums radicaux, note l'organisation SITE, qui surveille l'activité des mouvements terroristes sur internet.

C'est en Moyenne-Egypte, bastion des groupes armés dans les années 1990, que la réponse a été la plus rapide: mercredi, premier jour des violences, 70 personnes ont été tuées dans la province de Minya, dont 16 policiers.

Dans la ville de Mallaoui, plusieurs églises coptes ont été incendiées, ainsi que de nombreux magasins ou maisons appartenant à des chrétiens, nombreux dans cette province rurale, la plus pauvre du pays.

Des civils armés patrouillent les rues sans que l'on sache s'il s'agit de policiers ou de membres des "comités populaires", dont les autorités ont ordonné dimanche la dissolution.

Des barricades ont été dressées devant le commissariat, défendu par un blindé. Des coups de feu retentissent régulièrement dans la ville.

Ayoub Youssef, un prêtre catholique du village de Delja voisin, dit n'avoir jamais connu un tel niveau de violence, même pendant l'insurrection des années 1990, réprimée de manière particulièrement brutale.

L'appareil policier, pilier du régime Moubarak, se prépare déjà à une nouvelle lutte à mort avec son vieil ennemi. Selon une source sécuritaire, 35 officiers de la redoutée Sécurité de l'Etat qui avaient été suspendus ou réaffectés après la chute de Moubarak ont été rappelés depuis le renversement de Morsi le 3 juillet.

"C'est pire que dans les années 1990. Ils veulent une guerre civile. Nous devons empêcher cela", se justifie Hussein Hamouda Moustafa, un ancien général de la Sécurité de l'Etat, disant s'attendre au retour en Egypte des 3.000 djihadistes égyptiens qui, selon lui, combattent actuellement en Syrie.

(Avec Yousri Mohamed à Ismaïlia; Tangi Salaün pour le service français)