par Michael Georgy

LE CAIRE, 18 août (Reuters) - Quand la nuit tombe sur Le Caire, le couvre-feu transforme la mégapole la plus active du monde arabe en ville fantôme dont de nombreux quartiers sont tenus par des "comités populaires", qui traquent les Frères musulmans avec l'aval de l'armée et de la police.

La musique s'échappant des bateaux qui circulent sur le Nil et les cris des vendeurs de rue s'éteignent peu à peu lorsqu'entre en vigueur le couvre-feu, instauré après les affrontements meurtriers de mercredi entre l'armée et les partisans du président destitué Mohamed Morsi.

Plus de 750 personnes ont été tuées ces quatre derniers jours dans tout le pays, de nouveau en état d'urgence, et le gouvernement envisage désormais de dissoudre la confrérie des Frères musulmans, à laquelle le pouvoir et l'armée attribuent la responsabilité des violences.

Dès la nuit tombée, lorsque la plupart des habitants sont rentrés chez eux, les militaires se déploient dans les rues et stationnent des blindés sur les principales artères de la ville, près des ponts et devant les bâtiments officiels.

Ailleurs, dans les petites rues, les soldats semblent souvent soulagés de laisser le champ libre aux comités populaires.

On trouve au sein de ceux-des anciens du quartier, qui n'ont pas de mal à se faire respecter, mais aussi des jeunes, comme Kano, 16 ans, posté à l'angle de deux rues pour inspecter les rares voitures qui passent.

"Longue vie à l'Egypte", s'écrie-t-il avant d'éclater de rire.

Les comités populaires disent avoir intercepté des véhicules transportant des armes destinés aux "terroristes" - les Frères musulmans - et arrêter des voleurs, qui semblent prospérer dans le chaos actuel.

"CE SONT DES CHIENS"

Dans l'un des quartiers de la ville, les membres de l'un de ces comités ont abandonné leur barrage improvisé pour boire le thé. Ils profitent de cette pause pour expliquer le fonctionnement du système: quand un individu suspect est appréhendé, ils préviennent les soldats les plus proches avec un sifflet ou appellent l'agent des services de renseignement le plus proche sur son téléphone portable. Sinon, ils agissent seuls.

"Quand on attrape quelqu'un, croyez-moi, des centaines d'entre nous peuvent se déployer très rapidement pour s'aider les uns les autres si on n'arrive pas à joindre l'armée", dit Mohamed Chaaban.

Il y a quelques nuits de cela, ajoute-t-il, les comités ont arrêté 47 Frères musulmans qui tentaient de s'attaquer à un bâtiment du ministère de l'Intérieur. Un autre membre du comité montre alors une vidéo, tournée avec un téléphone portable: on y voit certains des hommes interpellés bousculés et battus avant de monter dans un véhicule de police.

Un autre homme arbore une balle qu'il dit avoir prise à l'un des activistes présumés de la confrérie. Puis une femme en colère entonne ce qui semble être le discours officiel: "Ce sont des gens dangereux. Ils peuvent envahir notre maison. Ce sont des chiens."

Non loin de là, des soldats se montrent plus réservés, évitant d'aborder directement le sujet des Frères musulmans, mais ils défendent la destitution du président élu Mohamed Morsi par l'armée le 3 juillet dernier.

"Les médias appellent ça un coup d'Etat. Ce n'était pas un coup d'Etat. Nous répondions à la volonté du peuple", dit l'un.

Alors que les comités populaires reprennent leurs rondes, surveillés à distance par les soldats, un homme, vendeur d'oeufs jusqu'au début des troubles, regarde les informations en hochant la tête.

"Sous Moubarak, la vie était difficile. Aujourd'hui, elle est insupportable. Comment survivre si on ne peut même plus sortir la nuit pour vendre des oeufs ? Est-ce que c'est une vie ?" (Marc Angrand pour le service français)