Une question revient en permanence depuis de nombreuses années dans l'analyse comparée des pays européens : pourquoi l'Europe fait-elle si peu de croissance ? Les prévisionnistes tablent en effet pour 2011 sur une croissance de 1 à 1,5 %, loin derrière l'Asie, l'Amérique du Sud et l'Amérique du Nord.

Ce résultat laisse franchement perplexe face à une observation plus micro-économique de quelques faits : l'hyper-mobilité des jeunes européens, en particulier des français, adeptes des low costs et prêts à effectuer leurs stages aux quatre coins de la planète, les innovations en grappe dans les technologies de l'Internet, l'hyperactivité sur les forums ou dans Facebook, le montage de projets de tous ordres, culturels, humanitaires, sportifs, ... Il y a un contraste saisissant entre l'ouverture - le taux d'interdépendance par exemple - de l'Union Européenne, en bref sa présence au sens large dans le monde, et le résultat final en termes de croissance et donc d'emplois : quelle terre de paradoxe que cette Europe avec une aide au développement qui constitue son meilleur instrument de politique étrangère... et si peu de croissance !

Sans vouloir évidemment apporter une réponse exhaustive à cette question, on pourrait se demander s'il n'y a pas, semble-t-il, une certaine difficulté en Europe à transformer l'énergie des européens en croissance économique : un problème de courroie d'entraînement entre la sphère privée, fondamentalement à la base des initiatives même si la sphère publique y joue un rôle non marginal, et le résultat macro-économique en termes de croissance. Sur ce terrain, les américains sont à étudier attentivement, chaque bonne idée pouvant devenir, on non, une entreprise mondiale.

Il y a, par exemple, l'inertie des grands groupes peu enclins à voir émerger de nouveaux entrants, bref une forme très européenne de rigidité, de captation de rentes - le fameux « rent seeking » de J.M. Buchanan -, un élément fondamental de l'histoire et de la culture européenne comme le montrent bien les travaux d'Emmanuel Todd sur les trajectoires des structures familiales en Europe. On en reviendrait presque à un problème de génération, à un problème de passage de relais entre des « insiders » qui s'accrochent et des « ousiders » qui s'agitent et désespèrent... et qui peuvent alors se délocaliser !

Comment améliorer les choses ? Les recommandations du cercle des économistes évoquées dans les comptes rendus des journées d'Aix-en-Provence (juillet 2010) sont une bonne piste, en particulier le volet éducation, recherche et innovation mais les résultats seront visibles à moyen ou long terme. A court terme, il s'agirait de miser sur ce nouveau modèle de société « décarbonnée », moteur d'un saut qualitatif dans ce nouveau paradigme économique du développement durable. Sur cette question, la France a été pionnière avec l'usine marée motrice de la Rance il y a 40 ans (et oui en 1966 ! 240 MW quand même !), elle a alors abandonné ce chemin de croissance et d'innovation, même si ce n'est peut-être pas le meilleur : un exemple typique d'innovations qui a été mis sur une voie de garage. Et, en France, cet exemple n'est pas le seul !

Le Danemark, le Royaume-Uni et l'Allemagne font le saut dans l'énergie éolienne terrestre mais surtout offshore, à 20 ou 30 km des côtes. Déjà 7,5 % de la consommation électrique allemande est d'origine éolienne. Une étude européenne pointe le dynamisme de certains pays : le délai moyen pour obtenir une autorisation en matière d'éolien est de 18 mois en Europe. En France, le projet français le plus avancé en éolien a remporté un appel d'offre public depuis plus de 6 ans. Face à de telles lourdeurs, il y a de quoi rester perplexe...

Laurent Guihéry