"L'ampleur de la tragédie humaine au Japon est difficile à mesurer, nous ne connaissons pas encore le nombre de victimes. Et il est également trop tôt pour évaluer les dommages économiques. Les conclusions auxquelles nous sommes parvenus, dans cette brève note, sur les incidences financières et économiques de cette catastrophe sont tout à fait préliminaires et provisoires. La situation demeure très incertaine, car nous ignorons encore l'étendue des dégâts et les coûts de la reconstruction", note Philip Poole, responsable de la recherche et de la stratégie d'investissement chez HSBC Global AM.

"La source principale de cette incertitude est le risque lié à la menace de fuites radioactives des centrales nucléaires qui pourrait accroître significativement le désastre à long terme. Dans cette note, nous essayons d'identifier le principal impact de cette double catastrophe à la fois sur le Japon et sur le monde en termes d'investissements."

"Une chose est sûre, les dommages à court terme sont importants et, indépendamment des problèmes de fuites radioactives, il s'agit là de la pire catastrophe naturelle qu'ait connu récemment le Japon. A l'heure actuelle, le marché évalue à 100 milliards de dollars le coût de la catastrophe dans cette région, ce qui équivaut au coût du séisme qui avait frappé Kobe en 1995 (103 milliards de dollars). Néanmoins, malgré son énorme ampleur, la catastrophe actuelle a touché une partie du Japon beaucoup moins importante au plan économique que ne l'avait fait le tremblement de terre ayant dévasté Kobe et affecté Osaka et Kyoto, une région qui représente au total plus de 14% du PIB japonais."

"La zone frappée cette fois-ci (partie orientale de la région de Tohuku) génère moins de 7% du PIB japonais. L'attention des médias s'est focalisée sur la ville de Sendai, particulièrement ravagée. Néanmoins, si la situation est on ne peut plus tragique d'un point de vue humain et écologique, Sendai est au Japon une ville industrielle dont le poids économique est nettement moindre que celui de Tokyo, Nagoya et Osaka, ou encore de Kyoto, Yokohama, Kobe et Fukuoka. Par conséquent, le séisme et le tsunami affectent une capacité industrielle relativement faible par rapport à la taille de l'économie japonaise."

"Par contre, les coupures d'électricité dans le reste du pays, consécutives à la catastrophe, risquent d'avoir un impact plus fort sur la production industrielle. Mais ces conséquences secondaires pourraient également être de courte durée, bien que cela dépende de la nature de l'impact sur la capacité de production d'énergie nucléaire. Le risque nucléaire, manifestement alarmant, doit aussi être perçu dans ce contexte. Le niveau maximum de radiation mesuré dans le périmètre de la centrale nucléaire de Fukushima-Daichi s'élève à environ 8.000 microsieverts par heure."

"S'il dépasse celui de l'accident nucléaire de la centrale de Three Mile Island aux Etats-Unis, il reste relativement faible par rapport à celui de Tchernobyl (la radiation dans le périmètre étant environ 1.000 fois inférieure). Il est évident que la situation pourrait changer si le réacteur fondait, mais pour le moment, il s'agit davantage d'un risque que d'une réalité."

"Au-delà du territoire directement affecté, il existe un autre facteur préoccupant pour l'activité économique. Il s'agit des perturbations éventuelles de la chaîne logistique très rationalisée au Japon en raison des difficultés de transport et d'autres problèmes liés à la catastrophe. A cause de l'enchevêtrement des relations et des participations dans les entreprises (connu sous le nom de kereitsu au Japon), la plupart des sociétés japonaises ont historiquement peu de souplesse pour changer de fournisseurs."

"Les conséquences économiques et financières immédiates sur un marché directement frappé par une catastrophe naturelle sont généralement les pertes humaines et matérielles ainsi qu'une aversion au risque. Elles sont fréquemment suivies à court terme d'un assouplissement de la politique monétaire et, au fil du temps, une augmentation des dépenses de l'Etat pour l'aide aux victimes et à la reconstruction. En règle générale, après la brutale baisse de production initiale, on constate un regain de la croissance au fur et à mesure de la reprise économique."

"La réponse financière ne s'est pas fait attendre. Pour essayer de limiter la détérioration de la perception des investisseurs et freiner l'impact de l'aversion au risque, la Banque du Japon a augmenté son programme d'achats d'actifs (principalement par l'achat d'actifs à risque) de 5.000 milliards à 40.000 milliards de yens au total. Elle s'est, par ailleurs, engagée à apporter un financement conséquent pour répondre aux besoins des marchés financiers et assurer leur stabilité en proposant d'injecter un montant record de 15.000 milliards de yens le même jour sur le marché monétaire à court terme."

"Cette décision reflète l'intention de la Banque du Japon de maintenir le financement du secteur privé et d'essayer de stabiliser la Bourse à quelques jours de la fin de l'exercice fiscal en cours. Elle se tient prête à réagir si les risques de baisse s'intensifiaient, sachant qu'une augmentation supplémentaire des financements pour les achats d'actifs sera probablement l'outil principal."

"En termes de devises, on peut s'attendre à ce que la perturbation des exportations et la nécessité d'accroître les importations à court terme réduisent l'excédent de la balance courante, ce qui serait, toutes choses étant égales par ailleurs, un facteur négatif pour le yen. La préoccupation initiale est de limiter à court terme l'appréciation du yen (plus de 2% par rapport au dollar US jusqu'ici), du fait du rapatriement des fonds étrangers par les investisseurs privés et de la liquidation par les compagnies d'assurance de leurs participations financières étrangères dans le but de générer des fonds en yens pour le remboursement des sinistres liés au séisme et au tsunami."

"Dans ce contexte, les autorités auront à coeur d'éviter un renforcement du yen et devraient agir en conséquence. La question qui se pose ensuite est celle du paiement des coûts de reconstruction. La réponse ne fait pas de doute : il sera supporté à la fois par les sociétés et les ménages concernés, les compagnies d'assurance et le gouvernement. Le gouvernement a déjà engagé les dépenses et la perspective d'une incitation fiscale supplémentaire suscite l'inquiétude, car le Japon pourrait atteindre ce que Moody's appelle un point de basculement sur le plan fiscal."

"Si l'estimation des coûts de reconstruction à 60-100 milliards USD est exacte, cela représenterait approximativement 1 à 2% du PIB du Japon. Manifestement, la part de ces coûts qui incombera à l'Etat s'ajoutera au fardeau déjà extrêmement lourd de la dette du gouvernement. Mais avec un ratio de dette sur PIB s'élevant déjà à 200%, un coût supplémentaire de cette ampleur ne devrait pas affecter considérablement la dynamique de l'endettement public."

"Malgré la conclusion provisoire selon laquelle l'impact de cette catastrophe sur les finances publiques ne sera pas très important, l'augmentation des coûts pour le gouvernement liés à cette double catastrophe devrait avoir un effet négatif marginal sur les JGB, sauf si l'aversion au risque était forte au point de faire des emprunts d'Etat un havre sûr pour les investisseurs."

"Les sociétés ayant subi des pertes humaines et matérielles significatives ou des perturbations de la chaîne logistique devraient être les plus touchées. Mis à part les entreprises frappées directement par les effets dévastateurs de la catastrophe, toutes celles dont le processus de production exige beaucoup d'énergie (automobile, verre, matériel informatique, produits chimiques, etc) pourraient également souffrir."

"En revanche, les sociétés non affectées par les conséquences du séisme, tant humaines que matérielles et dont la chaîne logistique est peu perturbée devraient être mieux placées surtout dans les secteurs où la demande reprend en raison de la reconstruction. Elles devraient être les premières à redémarrer lorsque la situation commencera à s'apaiser. Le Japon n'est peut-être plus que la troisième économie mondiale à l'heure actuelle, mais c'est encore une puissance économique au niveau régional et mondial."

"Les séquelles de la tragédie qui continue de se dérouler là-bas auront de fortes répercussions sur les autres marchés. Le mécanisme de transmission englobera probablement les prix des matières premières, la chaîne logistique mondiale, sans compter l'impact de la catastrophe sur l'appétit pour le risque à l'échelle mondiale. Il y a, dans la région, des sociétés et des secteurs (pour la plupart des entités japonaises délocalisées) qui dépendent de ressources provenant du Japon, notamment des composants électriques et des produits pétroliers raffinés."

"La décomposition géographique de la chaîne de production est au coeur de la mondialisation et, si une partie de la chaîne rencontre des problèmes, cela aura inévitablement des conséquences sur les autres. Cependant, selon nous, les problèmes au Japon risquent peu d'entraver la croissance émergente en Asie. Freiner l'inflation restera le défi majeur pour la région et ses banques centrales devront réagir en resserrant le crédit."

"Le kérosène et le gazole représentent un aspect spécifique de la dépendance régionale. Le Japon est à la fois grand raffineur et exportateur et, d'après les prévisions, près de 30% de sa capacité de raffinage est hors service actuellement. Les producteurs sud-coréens devraient jouer leur rôle et combler l'écart. Mais il faudra peut-être des mois avant que les installations japonaises ne soient à nouveau opérationnelles. En attendant, nous pensons que les prix risquent d'augmenter encore et probablement de se maintenir par la suite."

"En revanche, l'activité économique amoindrie du Japon risque aussi de réduire la demande de pétrole brut et ceci pourrait avoir un effet légèrement modérateur sur le prix du pétrole brut parti à la hausse en raison des événements au Moyen-Orient. L'impact sur la production agricole japonaise devrait accroître les importations de riz et d'aliments pour animaux. Et ceci pourrait venir s'ajouter à des conditions de marché déjà serrées pour de nombreux produits agricoles."

"Les investisseurs japonais occupent une position forte sur certains actifs des pays émergents, notablement les NDF (Non Deliverable Forward) brésiliens et les titres locaux à revenu fixe. Historiquement, il n'y a guère de précédent permettant d'évaluer comment cette exposition évoluera dans ces circonstances. Mais le risque est que la liquidation ou le rapatriement des positions induisent une pression à la baisse sur les devises et les actifs locaux en devises de certains marchés émergents, notamment le real brésilien, le rand sud-africain et, dans les pays développés, le dollar australien."

"Cela dit, les Banques centrales au Brésil et dans d'autres pays émergents détiendront suffisamment de réserves en devises pour réduire efficacement la volatilité susceptible d'en résulter. En réalité, l'impact à court terme le plus important sur le reste du monde est sans doute le relèvement du niveau d'aversion au risque, qui a déjà abouti à une chute corrélée aiguë sur les marchés régionaux et de nombreux marchés mondiaux."

"Ici, la différence majeure par rapport aux effondrements provoqués par les catastrophes naturelles précédentes semble être l'incertitude liée aux risques de fuites radioactives. Tant que nous ne disposons pas d'une meilleure visibilité à ce sujet, il est difficile d'en apprécier les impacts sur le comportement des marchés financiers. De plus, la catastrophe au Japon s'ajoute à la crise au Moyen-Orient et son impact sur les cours du pétrole. Il s'agit d'un autre événement qui vient au premier plan pour les marchés, en même temps que le regain des préoccupations à la périphérie de la zone euro."

"Ces problèmes avaient déjà fait basculer en position arrêt l'interrupteur binaire du risque sur les marchés financiers mondiaux, avant même que le tremblement de terre n'ait frappé le Japon. En d'autres termes, des risques multiples se sont agrégés et ont évincé les effets positifs de l'afflux continu de liquidités dans le monde et les signes de la poursuite de la reprise de l'économie mondiale. En contrepartie, nous pensons que cette conjonction négative peut avoir créé des points d'entrée plus favorables sur les marchés et les actifs non directement touchés par ces risques mais néanmoins tirés à la baisse."

"A titre d'exemple, dans les pays émergents figurent certains titres et obligations d'entreprises russes liés aux matières premières, des titres liés aux matières premières en Amérique latine et les marchés de titres cycliques les moins chers d'Asie, notamment Taïwan, la Chine et la Corée. (...) Les importantes liquidations sur le marché local à la suite de cette catastrophe humaine, écologique et économique est peu surprenante."

"Bien que cette catastrophe soit de plus grande ampleur, ses effets sur le marché sont à peu près similaires à ceux qui avaient prévalus après le tremblement de terre de Kobe. Dans ce dernier cas, les cours avaient rapidement regagné le terrain perdu parce que la perte d'activité était limitée et que la production industrielle était vite revenue à ses niveaux antérieurs au tremblement de terre. Pour le moment, il est trop tôt pour évaluer l'étendue réelle des dégâts du séisme et du tsunami et pour savoir si l'interruption de l'activité économique sera du même ordre ou plus importante."

"Vraisemblablement, cela dépendra en grande partie de la gravité des interruptions de fourniture d'électricité, ainsi que des problèmes concernant la sécurité des réacteurs nucléaires, problèmes qui n'existaient pas dans les catastrophes précédentes. La valorisation des titres japonais semblait relativement attractive avant cette catastrophe, et la correction du marché depuis lors a été sévère. Ce n'est sans doute pas terminé, mais l'expérience passée tendrait à indiquer qu'une telle correction conduit à des excès de vente."

"Les sociétés dont les salariés et le matériel sont indemnes et dont la chaîne logistique n'a pas été gravement atteinte, surtout dans des secteurs où la demande sera renforcée du fait de la reconstruction, devraient être bien placées. Par ailleurs, si l'impact des coûts supplémentaires de la reconstruction est négatif au vu d'une dette publique déjà lourde, son ampleur n'est pas significative par rapport à la charge de la dette existante. De ce fait, alors que cette dette publique risque d'être cédée massivement, il semble qu'il y ait peu de raisons de croire que cette augmentation sera problématique au point de conduire à une forte appréciation sur le marché des niveaux des emprunts d'Etat japonais."