Ce mercredi 6 avril, les Néerlandais étaient appelés aux urnes pour se prononcer sur la ratification par le pays de l'accord d'association entre l'Union européenne (UE) et l'Ukraine. Près de 62 % des votants se sont prononcés contre, un résultat égal à celui de 2005, quand les Pays-Bas avaient rejeté le traité constitutionnel européen. Avec une participation supérieure au seuil de 30 %, le Parlement néerlandais ne peut plus ratifier l'accord en l'état sans lourdes conséquences politiques pour les élections législatives de 2017. Par ce référendum d'initiative populaire, les Néerlandais viennent de prouver que contrairement à ce que déclarait il y a peu le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, il peut encore y avoir des choix démocratiques contre les traités européens. En rendant le « Brexit » de juin prochain plus probable encore, ce résultat porte un coup peut-être fatal à l'UE des traités de libre-échange.

Un accord « perdant-perdant »

Le vote néerlandais sanctionne l'inconséquence des fonctionnaires de Bruxelles et le résultat d'une diplomatie de l'Union creuse et alignée sur Washington, marquée par une volonté insatiable d'annexion de nouveaux territoires économiques. Il sanctionne également la déconnexion de l'UE des intérêts des peuples, qu'ils en soient membres ou non.

Comme les autres pays d'Europe de l'ouest, les Pays-Bas vivent au rythme des coupes budgétaires et voient leur pouvoir d'achat baisser inexorablement. À la manœuvre, le ministre des finances « travailliste » Jeroen Dijsselbloem, par ailleurs président de l'Eurogroupe, celui-là même qui avait négocié le garrot chypriote. Dans ce contexte, quelque belle que soit en théorie l'idée d'un accord d'association économique visant la prospérité générale, les Néerlandais ont raison de se méfier de ce qui leur apparaît comme un énième avatar de la même politique austéritaire que l'Europe impose tant à ses pays membres qu'à ceux avec lesquels elle contracte des accords.

De fait, les gains que le peuple néerlandais peut espérer de cet accord de libre-échange sont minimes, alors que ses conséquences sociales sont potentiellement catastrophiques. Avec un salaire minimum de 50 euros et un salaire moyen autour de 200 euros par mois, soit un prix du travail inférieur de 30 % au prix chinois, l'Ukraine représente une destination de choix pour les délocalisations, avec toutes les conséquences sur l'emploi en Europe. L'Ukraine comptant quelque 45 millions d'habitants, si les directives sur les travailleurs détachés venaient à s'appliquer à ses ressortissants, les marchés du travail européens subiraient une pression à la baisse sur les salaires sans précédent. Enfin, cet accord alimente l'animosité entre l'Europe et la Russie ; sachant que le jeu des sanctions et contre-sanctions russes a affaibli des pans entiers de l'économie européenne, notamment son agriculture, cette option géopolitique n'a rien d'enthousiasmant pour les producteurs laitiers du plat pays.

Si les citoyens néerlandais sont certainement guidés avant tout par leurs propres intérêts, notons tout de même que cet accord ne représente pas non plus la panacée pour le peuple ukrainien. En effet, il est l'occasion pour Bruxelles d'exiger de l'Ukraine les mêmes réformes structurelles que celles qui sont imposées à tous les pays du monde soumis aux diktats du FMI. Censées remettre sur pied une économie exsangue, elles risquent fort de l'achever, d'autant que l'accord d'association avec l'UE provoque le ralentissement des échanges avec la Russie, principal partenaire commercial de l'Ukraine. Enfin, la division politique créée par cet accord dans le pays alimente un conflit qui aura fait près de 10 000 morts et plus d'un million de déplacés.

Les Néerlandais ont donc raison : cet accord « perdant-perdant » est une catastrophe économique en plus d'être une faute diplomatique, un cadeau empoisonné pour les Ukrainiens et la pomme pourrie du dumping social pour les Européens.

Portée et conséquences du référendum néerlandais

Le vote du peuple néerlandais étant sans appel, le gouvernement doit maintenant respecter la souveraineté populaire et exiger de Bruxelles des aménagements pour leur pays, voire des « clauses de retrait » (opt-out), un mot qui terrorise Bruxelles en plein débat sur le Brexit. Les semaines de propagande n'ont pas altéré l'opinion du peuple. Le gouvernement de coalition avait pourtant lancé tout son poids dans cette campagne, à grand renfort de 'solidarité avec l'Ukraine' et de caricature sur 'les extrêmes' qui avaient demandé le référendum. Des émissaires ukrainiens se sont dépêchés sur place. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, menaçait d'une crise 'à l'échelle continentale'. Peut-être a-t-il raison avec le Brexit qui se profile ?

Le fait est qu'à chaque fois qu'on donne la parole aux peuples, ils votent contre l'Europe des traités, malgré le matraquage médiatique. Ce fut le cas en 2005 en France et aux Pays-Bas, et en 2008 en Irlande ; cela risque encore d'être le cas en juin lorsqu'on donnera la parole au peuple britannique. Si l'on avait donné au peuple français l'occasion de s'exprimer sur l'accord d'association avec l'Ukraine, il y a fort à parier que le résultat aurait également été un « non » retentissant. Mais le Sénat et l'Assemblée nationale l'ont ratifié en toute discrétion, en été 2015, sans débat public ni éclairage médiatique.

En effet, le caractère systématique du rejet des options bruxelloises, dès lors qu'on organise une consultation démocratique, fait paniquer les responsables européens et alimente la suspicion envers les peuples qui voteraient « mal ». Certes, l'euroscepticisme est parfois porté par des partis d'extrême-droite, ce fait servant souvent à délégitimer le rejet de l'Europe austéritaire. Mais les excès nationalistes ne représentent que la face sombre d'une résistance qui trouve son origine dans le rouleau compresseur des politiques économiques de l'UE. La montée de ce spectre est donc à mettre sur le compte de ceux-là même qui les condamnent avec le plus d'indignation, s'en servant comme d'un épouvantail pour interdire tout choix alternatif.

Pourtant le rejet de l'Europe néolibérale n'est pas synonyme de repli xénophobe. Dans la campagne pour le « non » néerlandais, la gauche - le Socialistische Partij - a ainsi défendu des options qui n'ont rien de nationaliste. Certes, lorsque la situation sociale est tendue, la menace des extrêmes est forte ; mais c'est également dans ces moments-là que les changements sont les plus nécessaires. Plus que jamais, il faut encourager les versions progressistes de l'euroscepticisme, loin de toute tentation nationaliste, mais en rompant avec les illusions du passé. En effet, l'Europe sociale n'a jamais existé et la gauche ferait bien de comprendre qu'il est vain d'imaginer réformer ce carcan de l'intérieur. Seules de nouvelles bases de coopération entre les peuples, fondées sur la souveraineté de chacun d'entre eux, peuvent permettre de construire cette « autre Europe » dont elle a tant rêvé. On ne peut pas rafistoler cette Union ; il faut tout reconstruire.

Considérant les multiples référendums où les citoyens européens se sont prononcés contre les traités de libre échange, en particulier en France lors du vote contre le Traité Constitutionnel Européen en mai 2005, il serait légitime que le gouvernement organise un référendum sur le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Continuer à négocier en secret ce nouveau traité visant à mettre en place un Grand Marché Transatlantique et dont l'application aurait des conséquences immenses tant sur nos conditions de vie que de nos institutions, serait un pur déni de démocratie. Le peuple n'a pas donné mandat à Hollande, Valls et Macron de condamner toute forme de souveraineté populaire et nationale.

À un an des élections générales, la gauche néerlandaise vient de démontrer ses capacités de mobilisation pour contester les diktats de Bruxelles. Inspirons-nous de son exemple et faisons de la campagne présidentielle de 2017 une bataille pour réveiller le peuple du « non » de 2005 et de 1992, qui croit encore dans le droit de décider de son destin collectif.

La Sté PG – Le Parti de Gauche a publié ce contenu, le 16 avril 2016 et est seule responsable des informations qui y sont renfermées. Les contenus ont été diffusés non remaniés et non révisés, le 16 avril 2016 13:03:03 UTC.

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