par Kim Dixon et Jonathan Stempel

Trois anciens cadres de Moody's ont décrit une atmosphère d'intimidation et de crainte, selon ces témoignages destinés à la commission d'enquête du Congrès sur la crise financière (FCIC), qui devait entendre dans la journée le directeur général du groupe, Raymond McDaniel, puis l'investisseur Warren Buffett.

Ce dernier, dont la holding Berkshire Hathaway est l'un des principaux actionnaires de Moody's, n'a communiqué à l'avance aucun témoignage écrit.

Formée par le Congrès pour tenter d'identifier les causes de la crise financière de 2008, la commission se penche notamment sur le fonctionnement des agences de notation financière et l'utilisation de leurs avis par les investisseurs. Elle doit rendre publiques ses conclusions au plus tard le 15 décembre.

Dans son témoignage écrit, Mark Froeba, ancien vice-président de Moody's chargé des produits dérivés, a déclaré que l'obsession de sa direction pour la part de marché de l'agence avait eu pour conséquence de faire passer les analystes sous l'autorité des banquiers d'investissement, ce qui les a conduits à accorder des notes indûment élevées à certains produits.

"Fondamentalement, ils ont eu recours à l'intimidation pour créer une population docile d'analystes effrayés à l'idée de contrarier des banquiers d'investissement et prêts à coopérer le plus possible", a-t-il dit.

Mark Froeba a quitté Moody's en 2007 après y avoir travaillé 10 ans.

LES AGENCES NE SONT PAS DES "SENTINELLES"

De son côté, Raymond McDaniel a défendu le modèle économique consistant à facturer les notes aux émetteurs de produits financiers, modèle accusé depuis la crise d'avoir conduit à des notations trop généreuses.

Le président de la commission d'enquête, Phil Angelides, a ainsi déclaré mercredi que Moody's était devenue "une usine de triple A", en référence à la note la plus élevée de l'échelle des grandes agences (Moody's, Standard & Poor's et Fitch Ratings).

Raymond McDaniel a expliqué que les agences de notation n'étaient pas des "sentinelles" et qu'elles ne pouvaient pas empêcher l'émission ou l'achat de certains produits.

"Les marchés peuvent croître sans les notes, et ils le font", a-t-il ajouté.

Il a reçu le soutien de Brian Clarkson, un ancien président de Moody's à l'origine du développement rapide de l'agence dans la finance structurée, qui a quitté le groupe en 2008.

Jugeant "incontestable" l'intégrité des analystes de Moody's, Brian Clarkson a laissé entendre que la commission devrait enquêter sur le fonctionnement de Wall Street dans son ensemble, et non sur les seules agences de notation.

"A la différence de la plupart des professionnels de la finance chargés de vendre des produits d'investissement, les courtiers et souscripteurs en crédit immobilier ne sont pas obligés de s'enregistrer auprès d'une autorité fédérale de régulation", a-t-il dit.

"Cette commission devrait envisager des règles uniformisées et efficaces pour les courtiers et les souscripteurs."

L'OBSESSION DE LA PART DE MARCHÉ

Dans son témoignage, Mark Froeba a dressé le portrait d'un Brian Clarkson prenant plaisir à menacer les analystes de licenciement s'ils ne satisfaisaient pas les banquiers d'investissement.

"Il est important de souligner que Brian n'était pas un cadre voyou pris de folie et que le conseil d'administration, le directeur général et le président se faisaient des illusions sur sa conduite", a-t-il ajouté.

De son côté, Eric Kolchinsky, qui fut un temps chargé de la notation des CDO (collateralized debt obligations) liés aux crédits "subprime", a expliqué que la culture d'entreprise de Moody's avait changé en 2007, année durant laquelle une part importante de la rémunération des cadres a commencé à être payée en actions et en options.

Il a décrit une entreprise obsédée par sa part de marché. "Même s'il n'y a jamais eu d'instruction explicite pour abaisser les critères de notation, il fallait s'expliquer et se défendre sur chaque contrat raté", a-t-il dit.

Avec la contribution d'Elinor Comlay, Marc Angrand pour le service français, édité par Dominique Rodriguez