* Des familles de victimes reçues au ministère de l'Intérieur

* Interrogations sur les services de renseignement

* La patronne du contre-terrorisme limogée (Actualisé avec familles)

par Gérard Bon

PARIS, 30 janvier (Reuters) - Les familles de victimes de Mohamed Merah pressent l'exécutif de répondre aux dysfonctionnements policiers apparus lors de l'affaire, alors que deux hommes ont été interpellés à Toulouse dans l'enquête sur les complicités dont il aurait pu bénéficier.

Reçues mercredi par Manuel Valls, les familles ont noté la volonté de transparence du ministre de l'Intérieur tout en confiant leur sentiment que l'enquête sur l'auteur des tueries qui ont fait sept morts en mars 2012 n'avançait pas.

"Je ne suis pas satisfaite, car il n'y a rien de nouveau. J'attendais qu'on me dise que l'enquête avance", a dit aux journalistes Lafita Ibn Ziaten, la mère d'un des trois militaires tués.

Albert Chennouf, le père d'un second soldat, est allé dans le même sens: "On sent qu'il est à l'écoute, mais il n'y a rien de décisif. Je ne m'attendais pas à grand chose."

En revanche, Olivier Morice, avocat de la famille de Mohamed Legouad, s'est félicité de la promesse du ministre d'examiner à nouveau tous les documents susceptibles d'être déclassifiés, pour permettre à la justice d'avancer. Manuel Valls, a-t-il dit, "a insisté sur le fait qu'il voulait pratiquer la transparence la plus large possible".

Me Marc Bensimhon, autre défenseur d'un soldat tué, a souligné l'importance de cette déclassification promise, qui concernait l'attitude des forces de l'ordre lors de l'assaut qui a abouti à la mort du "tueur au scooter".

Dans Le Monde daté du 31 janvier, Manuel Valls précise que tout ce qui peut être déclassifié le sera, mais "pas les éléments qui exposeraient des sources, étrangères ou françaises".

Les familles voudraient obtenir à la fois la mise en évidence de complicité, ce qui permettrait la tenue d'un procès, et une reconnaissance plus nette des erreurs des services de renseignement dans l'affaire.

L'HYPOTHÈSE D'UN TROISIÈME HOMME

Le gouvernement a en partie tenu compte des dysfonctionnements révélés en octobre par un rapport de l'Inspection générale de la police en préparant un décret réorganisant la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).

En outre, le nouveau chef de la DCRI a limogé la patronne du contre-terrorisme, Dominique Roulière, pour tirer les leçons de l'échec de l'affaire Merah, dit-on de source policière.

Mardi, à la veille de la rencontre des familles avec le ministre, deux hommes ont été interpellés à Toulouse dans le cadre de l'enquête sur les complicités dont Mohamed Merah aurait pu bénéficier, a-t-on appris mercredi de source judiciaire.

Les deux hommes, une "connaissance" du djihadiste et un membre d'une cellule salafiste de Toulouse, âgés de 28 et 30 ans, ont été placés en garde à vue et transférés au siège de la DCRI, à Levallois-Perret, près de Paris, apprend-on de source policière.

Manuel Valls a pris le contre-pied de son prédécesseur UMP Claude Guéant et des responsables policiers de l'époque en affirmant mardi que la thèse du "loup solitaire" ne tenait pas, même si Mohamed Merah avait pu passer seul à l'action.

Jusqu'à présent, seul le frère du tueur, Abdelkader, 30 ans, a été mis en examen dans ce dossier pour complicité d'assassinats terroristes, ce qu'il nie.

L'hypothèse d'un "troisième homme" a été relancée par le frère aîné des Merah, Abdelghani, dans un ouvrage paru fin 2012.

Outre la recherche de possibles complicités, les familles des victimes veulent savoir si les services de renseignement ont tenté de retourner Mohamed Merah.

Le juge antiterroriste Marc Trédivic a récemment conforté leurs doutes dans une interview au blogueur Frédéric Helbert, spécialiste des questions de sécurité. Le magistrat estime que Mohamed Merah a été "ciblé" pour être recruté par le renseignement français, mais qu'il a dupé ceux qui croyaient pouvoir le manipuler.

Le responsable de l'antenne régionale de la DCRI a assuré que son équipe n'avait pas effectué une évaluation en vue d'un recrutement, à cause de la dimension trouble du jeune homme.

Les policiers toulousains ont également attaqué leur hiérarchie à Paris, reprochant à la direction de la DCRI d'avoir réagi tardivement aux informations sur le profil inquiétant du jeune homme et conclu qu'il n'y avait pas de lien avec un réseau djihadiste, selon une source policière.

Un rapport de l'Inspection générale de la police dévoilé en octobre par le ministre de l'Intérieur sur l'auteur des tueries a reproché à la DCRI d'avoir failli dans l'évaluation de sa dangerosité, mais ne désigne pas de responsables.

Les députés ont décidé début décembre la création d'une commission d'enquête sur le travail des services de renseignement à la lumière de l'affaire Merah, une initiative dénoncée par l'opposition de droite. (avec Nicolas Bertin et Guillaume Serries à Toulouse, édité par Yves Clarisse et Henri-Pierre André)