* Référendum dimanche sur la réforme de la Constitution

* Il s'agit de mettre fin au régime parlementaire en vigueur

* Pour passer à un régime présidentiel sans Premier ministre

* Le "oui" à la réforme l'emporterait à 51%-sondages

* Les opposants craignent une dérive autoritaire

par Nick Tattersall et Humeyra Pamuk

ISTANBUL, 15 avril (Reuters) - Les Turcs votent dimanche par référendum pour dire s'ils veulent transformer leur démocratie parlementaire en régime présidentiel, ce qui pourrait, si le "oui" l'emporte, représenter le plus grand bouleversement politique depuis la fondation de la république turque sur les cendres de l'empire ottoman il y a près d'un siècle.

Cette réforme, voulue par le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, prévoit notamment la suppression du poste de Premier ministre, la possibilité pour le président de dissoudre le Parlement et de prendre certains décrets.

Les partisans du président Erdogan estiment son projet de renforcement de la fonction présidentielle comme la juste récompense d'un dirigeant qui a remis les valeurs de l'islam au coeur de la vie publique, s'est fait le défenseur d'une classe ouvrière pieuse et construit des aéroports, des hôpitaux et des écoles.

"Ces 15 dernières années, il a réussi tout ce qui semblait autrefois impossible, impensable pour les Turcs : des ponts, des tunnels sous-marins, des routes, des aéroports", s'enthousiasme Ergin Kulunk, 65 ans, un ingénieur qui dirige une association qui finance la nouvelle mosquée géante voulue par Erdogan à Çamlica, sur la plus haute colline d'Istanbul.

"La plus grande qualité du chef est qu'il touche les gens. Je l'ai vu à une récente réunion littéralement serrer un millier de mains. Il ne fait pas ça pour la politique. Cela vient du coeur", ajoute l'ingénieur avec, en fond sonore, une télévision qui diffuse un des meetings de campagne du chef de l'Etat.

Les opposants de la présidentialisation - les tenants de la laïcité, les Kurdes et même certains nationalistes - craignent une dérive autoritaire avec un président qu'ils considèrent attaché au pouvoir et qui ne tolère pas la moindre opposition. Ils tiennent à la démocratie, à la liberté d'expression et aux principes laïques mis en place par le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.

"Il essaie de détruire la république et l'héritage d'Atatürk", déclare Nurten Kayacan, 61 ans, une habitante d'Izmir, qui participe à une petite manifestation pour le "non" à Istanbul.

"Si le 'oui' l'emporte, nous sommes partis pour le chaos. Il ne sera le président que de la moitié du pays", dit-elle.

FAIBLE MAJORITÉ

Erdogan est arrivé à la présidence, qui était alors une fonction essentiellement honorifique, en 2014 après avoir été Premier ministre pendant plus de dix ans. Depuis, il a continué à dominer la politique en raison de sa forte personnalité et n'a jamais fait mystère de sa volonté d'obtenir plus de pouvoirs.

Il surfe sur une vague de patriotisme depuis le coup d'Etat manqué du 15 juillet dernier. Il présente la Turquie comme étant en danger, menacée par des forces extérieures et ayant besoin d'une direction forte pour lutter contre la menace de l'Etat islamique, des combattants autonomistes kurdes et des ennemis de l'intérieur et de leurs appuis étrangers.

Un sondage réalisé deux semaines après le putsch avorté lui accordait un taux d'approbation des deux tiers de la population, son taux de soutien le plus élevé. Mais les enquêtes d'opinion les plus récentes suggèrent que la compétition sera serrée.

Selon deux sondage publiés jeudi, le "oui" l'emporterait avec une faible majorité d'un peu plus de 51%.

Les instituts de sondage s'excluent pas un vote "non" dissimulé, difficile à évaluer, dans les rangs des soutiens traditionnels du parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP). Ces soutiens se disent inquiets des tendances autoritaires de Recep Tayyip Erdogan, le fondateur de l'AKP, notamment après le limogeage ou la suspension de plus de 120.000 fonctionnaires depuis le coup d'Etat manqué de juillet.

Etyen Mahcupyan, qui a été le principal conseiller de l'ancien Premier ministre Ahmet Davutoglu, figure clé de l'AKP, déclare dans le quotidien Karar de jeudi qu'il votera "non".

"Le modèle proposé fera un grand tort à moyen terme aux conservateurs et à la Turquie", écrit-il. Cela va déboucher sur un système reposant sur un seul homme, susceptible de déboucher sur des abus, dit-il.

"Tous les membres de l'AKP doivent se mobiliser pour défendre le parti et sa capacité et son potentiel à gouverner", ajoute-t-il.

Les partisans d'Erdogan rejettent ces accusations. Ils font valoir que les 18 amendements soumis au vote contiennent suffisamment de contrepoids. Ils expliquent par exemple qu'en cas de dissolution du Parlement par le président, une nouvelle élection présidentielle sera organisée. (Avec Umit Bektas, Melih Aslan et Daren Butler; Danielle Rouquié pour le service français)