* La meilleure équipe belge de tous les temps

* Des joueurs et un entraîneur qui plaident pour l'unité du pays

* Leurs résultats sportifs pourraient influencer le résultat des élections

par Yves Clarisse

PARIS, 11 octobre (Reuters) - La qualification des Diables rouges pour la Coupe du monde de 2014 au Brésil consacre une équipe et un entraîneur talentueux qui sont parvenus à susciter une étonnante fièvre patriotique dans une Belgique déchirée par les querelles linguistiques.

Le phénomène prend même une connotation politique à quelques mois des élections législatives de mai prochain, cruciales pour l'avenir du pays, où le triomphe annoncé des nationalistes flamands pourrait en être - temporairement - contrarié.

La sagesse populaire veut que le plat pays ne tienne que grâce au ciment que constituent la famille royale et l'équipe nationale de football : 2013 aura, à cet égard, été un très bon cru pour les Belges qui veulent croire en la pérennité du pays.

L'abdication d'Albert II en faveur de son fils Philippe, couronné le 21 juillet, avait déjà donné lieu à des scènes de liesse, même si elles ont surtout été le fait des francophones d'un royaume dominé par des Flamands qui, dans leur majorité, ne tiennent pas la monarchie en très haute estime.

Les Diables rouges ont, eux, de tout temps fait vibrer la fibre patriotique en Belgique. Mais le phénomène date déjà d'il y a d'une trentaine d'années, à l'époque des exploits d'une équipe de peu de stars mais dure au mal et très disciplinée.

En 1980, ils se hissent en finale du championnat d'Europe des nations et s'inclinent d'un petit but (2-1) à Rome face à l'Allemagne lors d'un match qu'ils auraient pu gagner, avant d'atteindre les demi-finales de la Coupe du monde de 1986.

Le retour sera triomphal, salué par 200.000 personnes sur la Grand'Place de Bruxelles envahie par les drapeaux noir-jaune-rouge, comme pour faire oublier que l'unité de la Belgique est déjà à l'époque en train de se déliter de manière accélérée.

"PRÊT À MOURIR"

Les nationalistes flamands, dont la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), qui ne cachent pas leur volonté d'indépendance, sont depuis devenus la force politique la plus importante du pays et les législatives de mai 2014 seront cruciales pour son avenir.

C'est dans ce climat qu'intervient l'éclatante campagne qualificative des Diables rouges pour le Brésil, couronnée vendredi par une victoire décisive contre la Croatie à Zagreb (1-2), après deux décennies de résultats médiocres qui avaient plongé la Belgique dans les tréfonds du classement mondial.

Elle avait touché le fond en 2000 et n'arrivant même pas à se sortir de la phase de poules lors du championnat d'Europe qu'elle co-organisait avec les Pays-Bas. Et les querelles entre les deux parties du pays ont même contaminé l'équipe.

Un homme symbolise la renaissance : l'entraîneur, Marc Wilmots, un francophone de 44 ans qui séduit aussi en Flandre grâce à sa parfaite connaissance du néerlandais.

Le sélectionneur, nommé en 2012 pour redresser la barque, est à l'image du joueur qu'il fut : courageux, revenant de blessures à une vitesse étonnante, charismatique et doté d'un solide franc-parler à la limite de la rudesse.

"Le minimum syndical, c'est de donner le maximum", explique-t-il souvent, se disant "prêt à mourir avec cette équipe".

Marc Wilmots peut aussi compter sur l'équipe la plus talentueuse de l'histoire du football belge, dont les joueurs évoluent dans de très grands clubs, contrairement à leurs prédécesseurs des années 1980 abonnés aux frimas belges.

De Daniel Van Buyten (Bayern Munich) à Vincent Kompany (Manchester City) en passant par Eden Hazard (Chelsea) et Marouane Fellaini (Manchester United), cette équipe métissée, à l'image de la Belgique du XXIe siècle, rassemble une bande d'amis qui s'amuse sur le terrain et joue en bloc.

UNE ÉQUIPE TRÈS POLITIQUE

Résultat : huit victoires et un nul dans une campagne qualificative qui a propulsé la Belgique au sixième rang du classement Fifa, devant le Brésil, juste derrière l'Espagne, l'Argentine, l'Allemagne, l'Italie et la Colombie.

Les places des matches en Belgique s'arrachent en quelques minutes sur internet et deux millions de personnes s'installent devant leur écran pour regarder Ecosse-Belgique, soit 50% d'audience équitablement partagée entre le Nord et le Sud.

Ils étaient 7.000 supporters à faire le voyage de Glasgow le 7 septembre et 3.000 personnes ont salué mercredi dernier sur le tarmac de l'aéroport de Bruxelles le départ de l'avion des Diables rouges vers la Croatie.

Cette marche triomphale a de quoi inquiéter les nationalistes flamands, qui craignent de voir la fièvre patriotique influencer le résultat des élections de mai 2014, un mois avant la phase finale du Mondial, en juin-juillet.

Surtout quand les joueurs et leur entraîneur jouent délibérément la carte de l'unité du pays, appuyés par le Premier ministre, le francophone Elio di Rupo.

"Il y a des politiciens qui veulent diviser le pays. Nous, grâce au sport, on essaie de le rassembler", a déclaré Marc Wilmots en octobre dernier. "C'est notre message, et j'en ai parlé avec les joueurs : il faut tenir ce pays uni."

La star incontestée de l'équipe, Vincent Kompany, joue sur le même registre lorsqu'il répond indirectement à Bart de Wever, le chef de la N-VA qui ne cesse de prévoir la fin du pays.

"La ville est à chacun mais ce soir elle est avant tout à nous", avait déclaré le dirigeant nationaliste flamand au soir de sa victoire électorale qui l'a fait maire d'Anvers.

Réponse de Vincent Kompany, sur son compte Twitter, après une victoire : "La Belgique est à chacun mais ce soir elle est avant tout à nous. Je suis fier de mon pays".

Pour Luc Van der Kelen, éditorialiste du quotidien flamand Het Laatste Nieuws, "cela va influencer un tas de gens".

"Les élections sont à la fin du mois de mai. Il y aura donc l'euphorie autour de la Belgique, on a vu tout l'enthousiasme autour de l'équipe nationale, et de Vincent Kompany. Pour le président d'un parti contre la Belgique (Bart de Wever-NDLR), c'est embêtant", conclut-il. (Edité par Gilles Trequesser)