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(Easybourse.com) Quel potentiel présente le marché des biocarburants au Brésil ?
Le Brésil est la dernière grande frontière agricole du monde. Il n'y a environ que 20% des terres arables qui sont exploitées et la canne à sucre, base de la production d'éthanol, n'en occupe que 1%.
Le potentiel des investissements étrangers dans le domaine des biocarburants est énorme. Tous les jours des entreprises étrangères veulent investir des capitaux au Brésil dans ce domaine.

Y a-t-il des conditions spécifiquement posées pour pouvoir s'implanter et se développer dans le secteur ? 
Non, il n'y a pas de conditions particulières. Ceci s'explique par la volonté du Brésil d'avoir un maximum d'investissements sur ce marché afin d'ériger l'éthanol en « commodity », un bien similaire au pétrole, coté en bourse et échangé sur les différentes places. Le gouvernement sait parfaitement que tant que l'éthanol sera un produit strictement brésilien,  les entreprises automobiles étrangères et les gouvernements des pays industrialisés hésiteront à se lancer dans la filière. Ces derniers refuseront de dépendre d'un seul pays dont ils ne sont même pas sûrs qu'il satisfera l'ensemble de la demande.

Ce choix apparaît clairement à travers l'accord qu'a conclu le Brésil avec les Etats-Unis. Les deux pays qui produisent 74 % de l'éthanol mondial se sont entendus pour fixer une certaine standardisation et stimuler une diversification de l'offre.

Entre autres choses, les deux parties ont décidé de développer la production de l'éthanol et de la canne à sucre dans d'autres pays d'Amérique centrale. Le Brésil lui-même s'est engagé à  transmettre sa technologie de production des biocarburants à certains pays qui bénéficient de conditions climatiques pour le développement de la canne.

Le Brésil ne fixe pas de conditions spécifiques pour les investissements étrangers. Pourtant, le gouvernement refuse de ratifier des conventions bilatérales d'investissement servant à garantir ces investissements. Comment l'expliquez vous ?
Cela tient sans doute à des raisons idéologiques. Il y a dans le pays des personnes nostalgiques de la période de l'économie dirigée où l'État protégeait l'industrie et développait une politique industrielle proactive, choisissant les gagnants et les perdants. Ces personnes craignent que si des conventions venaient à être signée par  le pays, celui-ci serait pieds et poings liés et ne pourrait pas déployer le cas échéant de politique industrielle. La Fédération des industries de l'Etat de São Paulo, la plus puissante du pays, s'inscrit dans cette optique.

Néanmoins, pour d'autres, le développement endogène n'a plus de sens aujourd'hui.
Exploiter uniquement des chaînes de production nationales protégées, alors que la réalité du monde se  caractérise par des chaînes de production globales, infiniment plus compétitives, n'a pas de sens.

Aussi, depuis que le Brésil a commencé à avoir ses propres firmes multinationales qui investissent à l'étranger et depuis les vagues de nationalisation en Amérique du Sud - particulièrement en Bolivie - qui ont affecté les intérêts d'entreprises brésiliennes, on commence à prendre conscience que des garanties fixées dans le cadre d'une convention ne seraient pas une mauvaise idée.

Aujourd'hui l'intégration du Mercosur paraît gelée. Comment expliquez-vous que cette organisation économique ait du mal à s'approfondir ?
Le problème réside dans le fait que les asymétries sont énormes. Le Brésil à lui tout seul représente près de 70 % du Mercosur, l'Argentine représente environ 20 %.
Aussi, quand vous ouvrez les marchés, les petites économies ou certaines régions risquent d'énormément souffrir. C'est toute la difficulté de l'intégration.

Par ailleurs, une autre difficulté réside dans le fait qu'au Brésil, il existe beaucoup de lobbys protectionnistes internes qui empêchent l'importation de produits provenant de pays membres de l'organisation. Par exemple l'Uruguay n'arrive pas à exporter sa production de riz en raison de pressions exercées sur le gouvernement de Lula par des producteurs rizicoles de l'Etat du Rio Grande do Sul situé à la frontière de l'Uruguay.

C'est là un exemple manifeste qui aide à comprendre pourquoi l'Uruguay, souhaite à l'heure actuelle négocier avec les États-Unis un accord de libre échange.

Pour approfondir le Mercosur il y a donc lieu de lutter beaucoup plus clairement contre les lobbys protectionnistes et d'avoir plus de forces politiques pour mettre en application les règlements adoptés au niveau de l'organisation. Aujourd'hui seulement 50 à 60 % des règles décidées au niveau du Mercosur ont été internalisées.

Quelles sont les conséquences de cette situation ?
Cela créé des problèmes d'incertitude très importants pour les hommes d'affaires et les investisseurs, la question qui se pose étant finalement quelle règle doit s'appliquer : est-ce la règle de l'État national ou celle édictée au niveau du Mercosur.
Une étude récente, réalisée par la Banque mondiale sur les partenariats public-privé, démontre qu'en général, 30 % des contrats conclus avec les Etats d'Amérique latine sont renégociés au bout d'un à deux ans. Au Brésil, on en est à 40 %.
Plus grave peut-être : dans les 30 % estimés, 25 % des renégociations sont imposées par les États et 75 % par les entreprises. Or, au Brésil c'est l'inverse : 75 % des renégociations sont demandées par l'État et 15 % par les entreprises. Cela signifie que les investisseurs étrangers ont 30 % de chances que l'État renégocie leur contrat au bout d'un à deux ans.

Le manque de prévisibilité juridique pose une réelle difficulté dans tous les secteurs, sachant que dans quelques cas la rétroactivité peut tout à fait être présente.
D'où le fait que la plupart des investissements en Amérique latine sont très « court-termistes ». Les entreprises investissent massivement pour rapidement  tirer profit et pouvoir partir au cas où. C'est ce qui explique d'ailleurs que l'Amérique latine soit l'une des régions les plus rentables au monde.

Cela n'empêche pas, bien entendu, que des entreprises soient présentes depuis des années. Beaucoup d'entreprises européennes sont présentes depuis 60, 80 ans. Mais ces entreprises ont acquis un certain know how et ont su s'adapter à l'instabilité.

Quelles sont les perspectives du Mercosur ?
Elles ne sont pas très bonnes malheureusement. Il apparaît clairement que le Brésil ambitionne à s'ériger au rang de leader régional capable d'intégrer les pays voisins autour de son leadership. C'est cette logique de hub-and-spokes qui a conduit à la proposition de Communauté sud- américaine des nations.

Mais des difficultés importantes demeurent. Tout leadership a un coût et le Brésil ne semble pas encore prêt à vouloir l'assumer en termes de concessions faites aux pays de la région et d'ouverture de son propre marché à ces derniers. Par ailleurs, quand on prétend être un hub, on se retrouve en compétition directe avec d'autres hubs parfois bien plus puissants - c'est le cas des Etats-Unis dans la région. Or, le marché brésilien est loin d'être aussi attractif que le marché américain. En témoigne ce qui se passe avec l'Uruguay. Pour la première fois de son histoire, le principal client de l'Uruguay ce sont les États-Unis et non plus le Brésil ou l'Argentine.

D'autre part, la constitution de la Communauté sud-américaine des nations, telle qu'elle est présentée, s'inscrit en contradiction avec les intérêts du Mercosur. Si le Mercosur avait été davantage intégré, il aurait pu être le noyau dur de cette organisation un peu plus élargie. Nous aurions pu ainsi parler de complémentarité mais ce n'est pas le cas. Aujourd'hui, le Mercosur a beaucoup de mal à se renforcer, notamment en raison des craintes de l'industrie argentine qui devenue très peu compétitive et n'arrivant pas à faire face à la concurrence brésilienne affiche des réticences à ouvrir son marché intérieur. La volonté uruguayenne d'échapper à la discipline du bloc et de négocier avec les Etats-Unis, de même que les réticences paraguayennes, mettent également à mal le processus d'intégration. Dans ces conditions, envisager un élargissement rapide vers le reste de l'Amérique du Sud revient à rendre encore plus difficile la consolidation du Mercosur.

Sans compter que le fait d'avoir accepté d'intégrer le Venezuela, sans la moindre négociation  préalable, est un autre clou enfoncé dans le cercueil du Mercosur. L'économie du Venezuela et le projet « bolivarien » du président Chavez est complètement différent - sinon contradictoire - de ceux de ses partenaires au sein de l'organisation. Et, à présent, il est même question de faire une place aux Boliviens, dont le «capitalisme andin » est parfaitement étranger à la vision des pays du Cône Sud.

Tout cela ne ferait sens que dans le cadre d'une Amérique du Sud diverse mais acceptant de se placer sous le leadership unique brésilien, mais une telle perspective serait aussi la mort du processus d'intégration du Mercosur, qui est fondé sur une démarche plus collective.  

En résulte une véritable confusion générale. Le Brésil tient au Mercosur, entre autres parce qu'il y a une discipline collective incarnée par le tarif extérieur commun (TEC) qui, de fait, interdit aux pays membres de négocier individuellement des accords commerciaux avec des pays tiers. Cela donne un véritable droit de veto au Brésil, qui d'ailleurs s'est traduit, par exemple, par la menace d'exclure l'Uruguay du bloc si ce dernier venait à négocier avec les États-Unis.

Le problème est que les autres pays d'Amérique du sud, surtout ceux de la côte Pacifique, ont une conception bien différente. Ils préfèrent l'idée d'une simple zone de libre-échange, leur permettant de poursuivre, sans ingérence brésilienne ou autre, des politiques commerciales propres.

Propos recueillis par I.H.

- 10 Mai 2007 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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