par Julien Toyer

Des tensions risquent néanmoins d'apparaître d'ici quelques mois entre la Commission européenne et certains Etats membres autour des modalités et du rythme de retour à une politique budgétaire conforme aux règles de Maastricht, estiment-ils.

A court terme, néanmoins, même l'exécutif communautaire, gardien du Pacte de stabilité et de croissance, ne s'émeut plus de cette situation alors que ses prévisions économiques annuelles, publiées lundi, placent pas moins de 12 pays sur 27 en situation de déficit excessif.

Du côté des Etats membres, la tendance est encore plus prononcée.

"L'Europe doit faire face à un défi économique considérable et il revient aux gouvernements d'aider leurs entreprises à traverser cette période et c'est ce que nous faisons", déclarait vendredi à Reuters Peter Mandelson, ministre britannique des Entreprises et ancien commissaire européen, presque surpris d'être interrogé sur ce point.

La veille, Pedro Solbes, ministre de l'Economie espagnol et ancien commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, ne s'était pas plus ému en annonçant que le déficit de l'Espagne s'établirait autour de 6% en 2009.

Et que dire de la France, où Nicolas Sarkozy, pourfendeur de longue date du corset budgétaire communautaire, n'a pas hésité à s'ériger en champion des plans de relance européens.

Dans l'Hexagone, le plan de relance de 26 milliards d'euros annoncé début décembre, conjugué à la forte contraction de l'activité, devrait selon la Commission européenne placer le déficit public au delà des 5% en 2009 pour s'établir à 5,4%.

UNE RÈGLE INDISPENSABLE

Reste que si les Etats membres ont actuellement raison, selon les analystes, de s'affranchir de cette référence chiffrée, ces derniers soulignent qu'il n'est pas question d'une disparition en tant que telle d'une règle des 3% qui, techniquement, représente le niveau maximum de déficit pour stabiliser la dette dans une période de croissance normale.

"La logique du pacte est très claire : dans des circonstances exceptionnelles, les 3% ne tiennent plus comme limite supérieure. Nous sommes dans des circonstances exceptionnelles et donc pour le moment on ne parle pas des 3% mais on y revient dès que la situation se normalise", explique Daniel Gros, directeur du Centre for European Policy Studies, l'un des principaux centre de réflexion bruxellois.

Jean Pisani-Ferry, du think-tank Bruegel, estime lui-aussi normal que "dans une phase comme celle-là on ne mette pas l'accent sur les contraintes budgétaires instantanées".

"Mais ce serait une erreur de penser que toutes les règles budgétaires vont passer au second plan", souligne-t-il, tout en concédant que l'incarnation de ces règles - les 3% de déficit - sera mise temporairement en retrait.

Un diplomate européen appartenant à l'un des grands pays de la zone euro confirme d'ailleurs que les Vingt-sept se sont mis d'accord, dès le début de la crise, sur le maintien du pacte.

"C'est un instrument utile de pilotage des finances publiques à moyen terme et il faut bien distinguer deux temps: celui de la difficulté et de la relance, et celui du retour à des politiques budgétaires soutenables, dit-il.

"C'est sans doute la fin des 3% en tant que dogme, comme on l'a connu dans le passé, mais certainement pas en tant que règle", explique encore ce diplomate, au fait des discussions au sein de l'Eurogroupe.

DES TENSIONS À VENIR

Si l'exigence de cadre budgétaire demeure et se fera plus prégnante une fois l'orage passé, des tensions risquent de se faire jour dans les prochains mois quant à l'opportunité, aux modalités et au calendrier du retour à la règle stricto sensu.

"Une majorité des Etats membres voudront revenir aux 3% mais en France, où il risque d'y avoir un certain effacement du mythe des 3%, le débat se posera", et ce même si les déficits dans l'Hexagone devraient repasser assez largement sous la barre fatidique à partir de 2011 et 2012, dit Daniel Gros.

"Dans le cas d'une reprise qui s'amorcerait dès la fin de cette année, il y aura toujours des pays pour dire : est-ce qu'elle est forte, est-ce qu'elle est durable ?", note-t-il.

Jean Pisani-Ferry estime quant à lui qu'il sera "nécessaire de prendre des mesures pour améliorer la soutenabilité des finances publiques à moyen terme, une fois que les mesures de relance à court terme auront épuisées leurs effets", une dimension qui n'est selon lui "absolument pas" suffisamment prise en compte par les Etats membres de l'UE.

Cette question se posera lorsque la Commission fera ses premiers rapports sur les déficits excessifs et publiera ses premières recommandations, indique le même diplomate européen.

"Là, ce sera plus compliqué (...) A mon sens le débat devra alors moins être axé autour des 3% et plus sur comment on réduit le déficit et avec quel délai".

"Mais, une chose est sûre, une fois les 3% dépassés, personne ne souhaite se laisser aller vers les 10%, et c'est finalement une preuve que la référence des 3% n'est pas complètement laissée de côté", ajoute-t-il.

Edité par Jacques Poznanski