"Depuis quelques semaines maintenant, le marché est très influencé par la politique monétaire aux Etats-Unis. Quel regard portez-vous à ce sujet ?
La politique monétaire de la Fed est étroitement liée à l’évolution économique. En indiquant le 22 mai que le programme d’achats massifs de titres de dette sur le marché pourrait prochainement être réduit puis interrompu, le gouverneur de la Banque centrale, Ben Bernanke, a souhaité avant tout préparer les investisseurs au fait que compte tenu de l’amélioration de la toile de fond macroéconomique aux Etats-Unis, ce dispositif non conventionnel n’avait pas vocation à perdurer.
Ceci étant, si la dynamique des Etats-Unis est meilleure, elle n’est pas encore suffisamment robuste pour permettre à la Fed d’agir de manière conséquente à court terme. En particulier, le redressement du marché de l’emploi n’est pas assez fort. Ainsi l’institution ne prendra pas le risque de détruire ce qu’elle a essayé de faire pendant plusieurs années, à savoir remettre à pied l’économie américaine. C’est d’ailleurs, en substance, ce que n’ont cessé de répéter M Bernanke lui-même ainsi que les autres membres de la Banque centrale depuis cette fameuse déclaration.

Quand est-ce que la Fed pourrait commencer à agir ?
Je ne pense pas que la Fed ait un calendrier prédéterminé. Je pense qu’elle agira en fonction des nouvelles données dévoilées.

Comprenez-vous la réaction du marché, autrement dit la forte correction, à la suite de la déclaration de M Bernanke du 22 mai ?
Nous ne nous attendions pas à une réaction de cette ampleur. Ce d’autant plus que nous pensons que le débat posé autour de la stratégie de sortie de la Fed est un faux débat.
Effectivement, soit les statistiques économiques à venir, notamment le taux de chômage, sont décevantes et la Fed poursuivra ses opérations d’achats au même rythme. Dans ce cas, le ralentissement de la croissance américaine sera compensé par l’injection de liquidité abondante par la Banque centrale sur le marché.
Auquel cas, si la croissance s’accélère, la logique de la réduction du programme d’achats de la Fed sera à assimiler à une bonne nouvelle puisqu’elle sera justifiée par un renforcement des fondamentaux économiques.
Par rapport à l’allocation d’actifs, ces deux configurations conduisent à une situation gagnante-gagnante. Dans le premier cas, les actifs risqués continueront à être soutenus par la liquidité, dans le second cas ils seront portés par le net rétablissement de la conjoncture.

Comment expliquez-vous la surréaction dans ce cas ?
Par l’effet de surprise tout d’abord. Si le marché avait cette stratégie de sortie de la Fed à l’esprit, il ne s’attendait pas forcément à ce qu’elle soit évoquée dès le mois de mai.
Ensuite, il y a eu un excès d’inquiétude lié à l’éventualité que la Fed, en voulant diminuer trop tôt son programme puisse compromettre la reprise économique américaine. C’était cependant perdre de vue que la Réserve fédérale a un pilotage très pragmatique de sa politique.

Le risque vous semble plus important du coté de l’Europe ?
Tout à fait. L’environnement économique reste compliqué sur le Vieux continent. Plusieurs pays sont en récession prononcée. De plus, des tensions politiques sont palpables ici et là, du fait de certaines rumeurs de corruption qui entachent le premier ministre en Espagne, à cause des réformes à mettre en place en Grèce et au Portugal, ou encore en raison de l’instabilité de la coalition dans le gouvernement en Italie.
Nous ne tablons pas sur un scénario noir pour la région. Nous évacuons tout risque d’éclatement de la zone euro. Cependant nous sommes d’avis qu’il faudra du temps et encore beaucoup d’efforts pour permettre à la croissance dans son ensemble de réapparaitre de manière solide et durable.
Nous pensons donc qu’il est trop tôt pour revenir fermement sur les actifs financiers européens. Il y a lieu de patienter encore quelques temps pour avoir une meilleure visibilité de la tendance.

Y a-t-il un pays qui vous préoccupe en particulier ?

Il nous est difficile de donner une gradation des pays les plus risqués. Notre inquiétude porte sur l’ensemble des pays où il y a un problème de croissance. Ensuite, la taille de l’économie peut constituer un facteur clé. Plus l’économie est grande et plus elle présente un risque systémique aigu.

Qu’attendez-vous de la part de la Banque centrale européenne ?
Il nous parait tout d’abord important d’indiquer que pour nous la ligne directrice avancée sur les taux directeurs par le président de la BCE, Mario Draghi, au début du mois n’a pas été une grande nouvelle. Personne n’imaginait que les taux augmenteraient sensiblement dans les 12 à 18 mois à venir eu égard à l’état de la croissance. Cette ligne directrice ne change donc pas la donne.
Nous ne voyons pas à court terme de déclenchement du programme OMT (opérations d’achat par la BCE de titres de dette d’un Etat membre confrontés à des taux obligataires excessifs). Même si nous le jugeons crédible, pour le moment aucun pays membre n’est incité à formuler une demande en bonne et due forme pour ce programme dès lors que les taux obligataires des pays de la périphérie ont notablement baissé.
Nous ne pressentons pas non plus de lancement d’une nouvelle opération LTRO (opération de refinancement à long terme des banques européennes à des conditions avantageuses). Nous pensons qu’une telle opération ne servira pas à grand-chose étant donné que des remboursements anticipés ont été faits des prêts souscrits lors des deux précédentes opérations lancées fin 2011 et début 2012. Une telle opération ne devrait pas aider à réduire l’écart de taux d’intérêt qui existe entre les crédits sollicités par les PME des pays périphériques et les crédits souscrits par les PME des pays core.
Pour ce qui est de l’idée de mettre en place un mécanisme d’achat de titres de dette des PME pour faciliter leur accès au refinancement, cela n’est pas du seul ressort de la BCE. Il est possible de voir la Banque européenne d’investissement, refinancée par la BCE, procéder à de telles acquisitions, mais pas avant quelques temps.

Quid du risque relatif à une trop brusque remontée des taux obligataires ?
Nous n’entrevoyons pas de krach obligataire. Nous pensons que la remontée des taux se fera en ligne avec la croissance économique. En somme, cette remontée sera lente si la croissance reste molle et sera rapide si la croissance s’accélère. Si nous prenons le cas des Etats-Unis, les derniers chiffres sur les ventes au détail n’ont pas été très bons. Il n’y a quasiment pas eu de changement en juin par rapport au mois précédent. Or la consommation américaine contribue aux deux tiers du PIB national. Le deuxième trimestre devrait se caractériser par un taux de hausse du PIB entre 0,5% et 1%, ce qui n’est pas beaucoup.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs du moment ?
Nous sommes surpondérés sur les actions américaines et prudents sur les actions européennes.
Nous sommes sous pondérés sur les obligations d’Etat. Nous avons une faible duration, typiquement inférieure aux indices de références que nous utilisons.
Nous avons plus d’obligations privées.
Nous sommes neutres sur les actifs émergents.

Avez-vous réajusté votre manière de procéder à vos investissements compte tenu de l’environnement global des marchés financiers ?

Eu égard à la faiblesse des taux obligataires, les prétentions en termes de rendements doivent rester modestes.
Nous avons amplifié la dynamique de nos investissements du fait de la volatilité. Nous sommes plus réactifs. En cela l’horizon d’investissement s’est quelque peu contracté.
Des changements structurels sont encore à venir si l’on tient compte des mouvements abrupts dans certains compartiments. Ainsi la prise en considération de l’effet devise dans la plupart des classes d’actifs est devenu plus important.

*Avec la contribution de Géro Jung , économiste chez Mirabaud Asset Management

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