(Actualisé avec Azarov, Kerry, Otan)

par Natalia Zinets et Matt Robinson

KIEV, 3 décembre (Reuters) - Le Premier ministre ukrainien s'est dit prêt mardi à dialoguer avec les opposants pro-européens à condition que ceux-ci mettent fin à l'occupation des bâtiments officiels, alors que le président Viktor Ianoukovitch a entamé comme prévu une visite de quatre jours en Chine.

Plusieurs milliers d'opposants occupaient toujours mardi soir le siège du gouvernement et d'autres bâtiments officiels à Kiev, où ils se sont dits prêts à rester jusqu'à la démission de Viktor Ianoukovitch, coupable à leurs yeux d'avoir renié sa promesse électorale de rapprochement avec l'Union européenne.

Sans véritable leader, à l'exception de l'ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, l'opposition espère reproduire le scénario de la "révolution orange" de 2004-2005, qui avait renversé le pouvoir post-soviétique et empêché Ianoukovitch d'accéder à la présidence grâce à des fraudes électorales.

Au Parlement, protégé par des unités de la police anti-émeutes faisant face à plusieurs milliers de manifestants, l'opposition n'a pu faire inscrire à l'ordre du jour la motion de censure qu'elle voulait faire voter.

Compte tenu de l'équilibre des forces au Parlement, où le Parti des régions de Viktor Ianoukovitch contrôle la majorité, l'initiative lancée contre le gouvernement du Premier ministre Mikola Azarov n'avait guère de chance de se concrétiser.

Au final, 186 députés ont voté pour l'examen de cette motion de censure quand il en aurait fallu 226. Cinq ont voté contre, les 147 autres se sont abstenus ou n'ont pas pris part au scrutin.

Mais la virulence du débat parlementaire a reflété la colère croissante des manifestants qui occupent le centre de Kiev.

"J'appelle Ianoukovitch à la démission", a lancé le député et ex-boxeur Vitali Klitschko, aujourd'hui président du parti d'opposition Udar. "Ne faites rien de stupide", a-t-il ajouté à l'adresse du chef de l'Etat. "Ne vous enfermez pas et n'enfermez pas notre pays dans une impasse".

EXCUSES POUR LES VIOLENCES

Le Premier ministre Mikola Azarov a présenté aux députés ses excuses pour les violences policières de la nuit de vendredi à samedi contre les manifestants qui veillaient sur la place de l'Indépendance, mais il a subi les quolibets des opposants qui lui ont reproché de s'exprimer en russe, et non en ukrainien.

En refusant de signer un accord d'association avec l'Union européenne, Viktor Ianoukovitch a rouvert les plaies profondes d'un pays de 46 millions d'habitants déchirés entre l'Est, russophone, et l'Ouest, ukrainophone.

La tension commence aussi à peser sur la confiance des marchés financiers, au risque d'accroître la crise économique. La devise nationale, la hryvnia, de même que les obligations et les marchés actions sont soumis à une forte pression.

Mikola Azarov, qui estime que le mouvement de contestation a "toutes les caractéristiques d'un coup d'Etat", veut éviter que l'Ukraine soit le théâtre d'une nouvelle "Révolution orange".

"Nous vous tendons la main. Écartez les intrigants, les comploteurs qui recherchent le pouvoir et tentent de reproduire le scénario de 2004", a-t-il dit lors du débat parlementaire, s'attirant les sifflets de l'opposition.

Le Premier ministre a adopté par la suite un ton plus conciliant en se disant dans un communiqué "ouvert aux critiques et prêt au dialogue avec les représentants des contestataires, et les partis d'opposition".

Mais, a-t-il ajouté, "ils doivent mettre fin à l'occupation des bâtiments publics et arrêter d'empêcher l'administration de fonctionner".

A Bruxelles, où il assistait à une réunion de l'Otan, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a appelé le gouvernement ukrainien à "écouter la voix du peuple".

"Nous appelons le gouvernement ukrainien à écouter la voix de son peuple qui veut vivre dans la liberté et la prospérité. Nous demandons à toutes les parties d'adopter une attitude pacifique", a dit le chef de la diplomatie américaine.

"Il y a de manière évidente beaucoup de gens qui veulent être liés à l'Europe (...) Nous nous tenons au côté de l'immense majorité des Ukrainiens qui veulent que ce soit le futur de leur pays", a-t-il insisté.

"GUERRE DE SURENCHÈRES"

Les ministres des Affaires étrangères de l'Otan ont dénoncé collectivement "l'usage excessif de la force" par les autorités de Kiev et la France, qui a accusé le pouvoir d'avoir pris une direction "extrêmement choquante", a invité Vladimir Klitschko, le frère de Vitali, à venir à Paris pour discuter de la situation. (voir )

A l'inverse, le président russe Vladimir Poutine a estimé que les manifestations en Ukraine constituaient une tentative de renversement de dirigeants légitimes du pays et jugé qu'elles étaient encouragées par des éléments extérieurs au pays.

John Kerry lui a indirectement répondu en souhaitant que les Ukrainiens puissent décider de leur avenir sans avoir à subir une "guerre de surenchères" de la part de Moscou.

Place de l'Indépendance, dans le centre de Kiev, les camps de tente dressés par les manifestants suggèrent qu'un long mouvement de protestation est engagé.

Dans ce contexte, le départ comme prévu de Viktor Ianoukovitch pour la Chine a donné lieu à des interprétations divergentes. Si certains voient dans le maintien de son agenda la preuve que le président pense que la situation est maîtrisée, d'autres jugent son départ bien peu prudent.

"C'est un très mauvais moment pour partir à l'étranger. L'absence du président pourrait rendre encore plus compliquées d'éventuelles discussions avec l'opposition", souligne le politologue ukrainien Gleb Vichlinski.

Pour Volodimir Fesenko, du groupe d'études et de réflexions Penta, Viktor Ianoukovitch tente au contraire de "démontrer que l'Union européenne et la Russie ne sont pas les deux seuls partenaires possibles de l'Ukraine". (Avec Pavel Polityuk à Kiev, Thomas Grove à Moscou, David Brunnstrom et Justyna Pawlak à Bruxelles; Eric Faye, Henri-Pierre André et Tangi Salaün pour le service français, édité par Guy Kerivel)