"Que retenez-vous de l’intervention du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, jeudi 21 janvier ?
L’enseignement de base réside dans un engagement clair d’assouplir davantage la politique monétaire actuellement conduite, au mois de mars. Des annonces concrètes devraient être faites à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs le 10 mars, concomitamment à la divulgation des nouvelles prévisions établies par les économistes de la BCE, sur l’inflation et la croissance.

Comprenez-vous cet engagement ?
Même s’il n’était pas attendu, cet engagement parait tout à fait justifié à la lumière des nouvelles données dont dispose la BCE pour définir son cadre d’action. Si l’on prend le cours du baril de pétrole, par exemple, au moment où le scénario de décembre a été dressé, la BCE s’est basée sur un prix du Brent pour 2016 de 52,20 dollars. Il est descendu jeudi à 27 dollars, avant de reprendre de l’élan ce vendredi. Or, la chute du prix du pétrole a une forte incidence sur les perspectives d’inflation. Il est très probable que les nouvelles estimations livrées en mars rendent compte d’une évolution à venir de l’inflation pour 2016, 2017 et 2018 bien moins marquée qu’attendu.

Pensez-vous que l’allusion faite jeudi d’une éventuelle intervention renforcée en mars soit une manière de répondre à la déception du marché du manque d’intervention en décembre et au regain de volatilité qui s’en est suivi sur les marchés financiers ?
Ceci était certainement un facteur important. Mario Draghi s’était beaucoup avancé en novembre sur l’adoption de mesures notoires qui finalement n’ont été que partiellement arrêtées en décembre. Le président de la BCE avait alors sans doute sous estimé la position hostile de certains membres du Conseil des gouverneurs, à l’instar du gouverneur allemand, ou des gouverneurs scandinaves.
Les annonces en demi-teinte faites en décembre avaient été froidement accueillies par le marché.
Toutefois, au-delà de la réaction du marché À proprement parler, force est de croire que c’est surtout la variation des paramètres macroéconomiques et l’accentuation des incertitudes qui dominent l’environnement qui ont poussé les membres du Conseil des gouverneurs à vouloir frapper plus fortement.

A quelles mesures concrètes vous attendez-vous en mars ?
A un abaissement additionnel du taux de rémunération des dépôts auprès de la BCE. La BCE pourrait aussi faire le choix d’augmenter le volume des actifs achetés. Celle-ci a, selon nous, une latitude élevée pour le faire. Pour parvenir à la taille de bilan atteint par la Réserve fédérale Américaine ou la Banque centrale d’Angleterre, la BCE pourrait accroitre le montant de ses achats mensuels à 100 milliards d’euros jusqu’en juin 2017.
Nous pensons cependant que cette augmentation pourrait ne pas être actée dès le mois de mars, mais un peu plus tard dans l’année.

Lors de la séance des questions-réponses, il a été demandé à Mario Draghi, si étant donné les caractéristiques dominantes de l’environnement actuel, en particulier l’atonie des prix du pétrole et des matières premières, il était encore pertinent de conserver comme objectif premier pour la BCE, le retour à une inflation en dessous mais proche de 2% à moyen terme.
Cet objectif fait partie intégrante du mandat de la BCE. Même si, en raison du ralentissement de la Chine et de l’effondrement du cours du baril, le marché remet déjà en cause la cible que s’est assignée la BCE, il est nullement envisageable qu’elle soit officiellement abandonnée.
Les anticipations d’inflation dans cinq ans pour cinq ans font état d’un taux d’inflation autour de 1,5%-1,6%.
Pour autant, un abandon de la cible des 2% pourrait entrainer un plus fort désancrage des anticipations et donner lieu à la mise en place d’une spirale déflationniste extrêmement problématique.

Mis à part cet engagement de procéder à une révision de la politique monétaire en mars, d’autres éléments vous ont-ils surpris dans le communiqué ou le discours de Mario Draghi hier ?
Pas vraiment. L’engagement donné se distingue par le fait qu’en décembre Mario Draghi avait avancé la volonté de la BCE de ne pas aller plus loin dans l’arsenal des mesures déployées.
Au-delà, le discours du président était très calibré et laissait peu de marge de manœuvre à d’autres éléments de surprise.

Quel sentiment vous inspire présentement l’état de santé économique de la zone euro ?
Un sentiment relativement positif. Certes l’inflation est morose et risque de nouveau de descendre en dessous de 0 au cours des prochains mois. Toutefois, la croissance économique s’inscrit dans une bonne trajectoire. Les indicateurs avancés sont bien orientés. Elle ne devrait pas faire l’objet d’une révision significative à la baisse pour 2016 et 2017.
La principale incertitude d’ordre macroéconomique réside dans l’insuffisante mise en œuvre des réformes structurelles qui s’imposent particulièrement sur le marché de l’emploi. Nous pouvons redouter que la lenteur des réponses apportées par les autorités publiques entraine de nouveaux soubresauts.

"