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(Easybourse.com) Votre thèse c'est que, tout en amont, la crise des pays occidentaux provient du protectionnisme monétaire pratiqué par la Chine...
Tout à fait. La date à retenir me semble être celle de fin 1999, date à laquelle le président Clinton a donné son feu vert à l'entrée de la Chine dans l'Organisation Mondiale du Commerce, malgré l'énorme sous-évaluation du yuan et malgré son verrouillage à un bas niveau grâce à un système de contrôle de change très contraignant et très efficace.
 
La situation s'est aggravée après fin 2001, lorsque la Chine est entrée effectivement au sein de l'OMC. A partir de là, un déséquilibre majeur s'est instauré et s'est amplifié en faveur de la Chine et au détriment des pays occidentaux.

Ainsi, si nous visualisons sur une échelle logarithmique les principales grandeurs de l'économie américaine, le PIB, la production manufacturière et l'emploi salarié, on s'aperçoit que pendant 55 ans, chacune de ces grandeurs fluctuait cycliquement autour d'un trend remarquablement constant.
Mais soudainement, à partir de 2000, ces grandeurs ne parviennent plus que très difficilement à inscrire leur évolution à l'intérieur des rails qui encadraient le trend. Et 2007 marque une rupture franche et décisive : chacune de ces grandeurs s'écarte définitivement par le bas des anciens rails de croissance.
Le même schéma prévaut au niveau de la zone G7 dans son ensemble. Depuis 1985, la production manufacturière pour les pays du G7 fluctuait cycliquement autour d'un trend constant. Depuis 2000 et plus nettement encore depuis 2007, cette production décroche par le bas des anciens railsde croissance.
Tout cela confirme que les pays du G7 sont confrontés non pas à une simple récession cyclique mais bel et bien à une crise de système.

Cette chute du régime de croissance dans les pays occidentaux, faites-vous remarquer, s'est manifestée en dépit même de toutes sortes de dopages...
Les rendements nominaux des Treasury 10 ans américains ont connu depuis 1982 une baisse régulière et impressionnante qui s'est poursuivie après 2000, après que la désinflation se soit interrompue. De ce fait, depuis 2000, les rendements réels eux-mêmes, ceux qui comptent pour la conjoncture, ont connu une nette diminution. Avant 2000, nous étions dans un range entre 2 et 5% sur le rendement réel. Nous sommes depuis 2000 entre 1 et 3%. Une telle baisse des rendements réels  aurait dû booster la croissance du PIB. Cela n'a pas été le cas.
Parallèlement, les déficits budgétaires ont été très sollicités. Aux Etats-Unis par exemple, le ratio recettes fiscales sur dépenses publiques n'a cessé de baisser pour atteindre seulement 59%. Cela aussi s'est avéré insuffisant.
Si des taux historiquement bas et des déficits budgétaires extrêmes n'ont pas suffi à réveiller la croissance des pays du G7, c'est que ces pays sont depuis 2000 victimes  d'un mal particulier. Quel est donc ce mal ? la Chine réalise un excédent extérieur colossal et croissant et cet excédent extérieur se reflète dans le déficit extérieur colossal et croissant pour la zone G7.
Et c'est ce déficit extérieur, répété de trimestre en trimestre, qui mine la dynamique de croissance  dans les pays du G7.
 
Quels taux de change vous paraissent être nécessaires pour avoir une chance de restaurer les équilibres commerciaux avec le yuan ? 
 Actuellement le dollar est à 6,83 yuans. La parité de pouvoir d'achat que retient le FMI est de 3,40 yuans pour un dollar. Selon ce critère, le yuan devrait donc être réévalué de 100%. Autre formulation, le dollar et l'euro devraient se déprécier de 50% contre Yuan.
Mais il est probable que même une réévaluation à 3,40Yuan pour 1 dollar s'avère insuffisante.
En 2004, lorsque nous étions encore avec un yuan à 8,28, j'avais eu l'occasion de rencontrer un grand groupe industriel européen présent à la fois en Chine et aux Etats-Unis. En comparant méthodiquement leur douzaine d'usines en  Chine et aux Etats Unis, ils ont établi que le coût salarial horaire en Chine était dans un rapport de 1 à 80 avec celui des Etats-Unis.
Voilà le chiffre qui manque au débat et qui n'est pas assez présent dans les discussions internationales. Nous sommes confrontés à une politique clairement anti coopérative de la Chine qui dans un même mouvement assure une croissance forte en Chine et  déstabilise les pays occidentaux.

De quelle manière cette politique anti coopérative influence sur notre schéma de croissance dans les pays du G7 ?
Si les pays du G7 veulent maintenir la croissance et l'emploi en dépit du déficit extérieur croissant que leur inflige la Chine, ils n'ont pour seule possibilité que de pratiquer une stimulation de plus en plus forte de leur demande intérieure.
Aux Etats-Unis, leur déficit extérieur est longtemps resté limité à -1% de leur PIB. En conséquence de l'entrée de la Chine à l'OMC en 2001, leur déficit s'est accru pour atteindre -6% du PIB entre 2003 et 2006. Pour maintenir la croissance de leur PIB,il leur a fallu pendant quatre ans rendre chaque trimestre la demande intérieure supérieure de 6,75% au PIB du trimestre antérieur. Pour parvenir à « cette sorte d'exploit », il a fallu que le système financier, encouragé par la Fed, le Trésor et même le Congrès,  se déploie pour convaincre les ménages même les plus vulnérables à se jeter à leur tour dans une dynamique d'emprunt. On sait maintenant à quel schéma catastrophique cela a conduit. MM. Greenspan et Bernanke prétendaient l'un et l'autre que l'économie américaine pouvaient s'accommoder du yuan sous-évalué. Ils ont l'un et l'autre été totalement démentis par les faits.

Quelle suite des évènements envisagez-vous ?
Le président Obama et JC Trichet sont allés à une semaine d'intervalle démarcher les autorités de Pékin. Tous les deux ont essuyé un refus catégorique. Mr Wen, le N°2 chinois, indiquant que la Chine ne céderait jamais aux pressions occidentales relatives au cours du yuan.

Les pays occidentaux ont maintenant épuisé le recours à l'endettement du segment privé. Les ménages sont très réticents à recourir au crédit à la consommation, ou au leverage sur l'immobilier. Les banques ont peu d'appétit et/ou peu de capacité pour prêter.
C'est ainsi que nous en arrivons maintenant à une sollicitation massive des déficits publics, 13% en 2010 comme en 2009 pour le Royaume Uni, 10% en 2010 comme en 2009 pour les Etats-Unis.
Dans ces deux pays, les déficits publics sont tellement colossaux que la seule manière de les financer, en évitant une hausse des rendements obligataires, a été la création monétaire par l'Etat, autrement dit le recours à la planche à billets. Le risque, si cela devait perdurer serait que surgisse une crise de confiance des investisseurs et/ou du public dans la signature de ces grands Etats.

L'enjeu majeur pour les pays occidentaux dans les années à venir sera d'extraire de la Chine une réévaluation très significative du yuan. Tant que nous ne l'aurons pas acquise, nous exposerons dangereusement nos pays à la déstabilisation économique et sociale.

Pensez-vous qu'une coopération avec la Chine est totalement impossible ?
Je ne saurai être trop affirmatif mais il faut garder à l'esprit qu'en pleine crise, la Chine a fait trois beaux croches pieds au pays occidentaux.
En mars et septembre 2008. La Chine, réputée alors coopérative, a déclenché la crise des Agencies qui s'est poursuivie jusqu‘à leur nationalisation en septembre 2008 pour un coût de 200 Mds$.
En juillet 2008 Par une décision soudaine et unilatérale, elle a interrompu le processus de réévaluation graduelle du yuan à laquelle elle s'était engagée.
Enfin en mars 2009, elle a provoqué la crise du dollar en catalysant une réaction très négative des marchés à l'encontre de la politique américaine de recours à la planche à billets. Cela se traduisit par une baisse brutale du dollar contre l'euro et contre l'or. Les déclarations chinoises selon laquelle le dollar ne mérite plus son statut de monnaie de réserve et selon laquelle la Chine avait acheté 450 tonnes d'or dans la période récente ont largement contribué à porter l'euro de 1,23 à 1,51 $ et l'or de 920 à 1220 $.

Ne peut-on pas augmenter les droits de douane pour contraindre la Chine à réévaluer sa monnaie ?
C'est en réalité  la seule méthode disponible. La zone G7 vit avec la Chine en beaucoup plus grand le problème qu'avaient vécu les Etats-Unis en 1971 face à un refus de l'Allemagne et du Japon  de réévaluer leur monnaie contre le dollar alors que les excédents qu'affichaient ces deux pays montraient à l'évidence qu'il y avait nécessité d'une réévaluation. Le président Nixon avait obtenu le réajustement en annonçant soudainement 30 % de droits de douane sur tous les produits entrant aux Etats-Unis. Très vite, les dirigeants japonais et allemands avaient accouru à Washington pour négocier une réévaluation de leurs monnaies en échange de l'abandon des droits de douane.
Mais cela suppose une volonté politique forte des Etats-Unis, de l'Europe et du Japon, et une coopération étroite entre eux, deux conditions qui ne semblent malheureusement pas encore réunies.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 28 Janvier 2010 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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