Comme toujours, l’analyse de forts mouvements de marchés doit tenter de faire le départ entre « l’écume, la vague et la lame de fond ».

1/ « L’écume » : la déception sur deux statistiques américaines hier (ventes au détail américaines et confiance des industriels dans la région de New-York) a provoqué un impressionnant rally obligataire sur les taux américains et allemands emmené, en particulier, par la zone intermédiaire de la courbe (5 ans) et principalement via des futures avec très peu de volumes sur le cash. Les hedge funds ont, semble-t-il, joué un rôle important dans ces flux.

Les positions sur les classes d'actifs risquées ont naturellement été immédiatement ajustées. S’agissant des dettes périphériques, ce repli a été amplifié par le retour d’une certaine incertitude politique en Grèce à quelques mois des élections qui pourraient voir le parti de gauche arriver en tête. L'Espagne, l'Italie et le Portugal, toujours très sensibles à un scénario de retour de la volatilité et du risque, ont naturellement suivi. L’adjudication de titres espagnols ce matin a été moins bien couverte qu’à l’accoutumé. Même la France s’écarte de 8 points de base contre Allemagne sur le 10 ans aujourd’hui.

Le crédit investment Grade a bien sûr souffert lui aussi : sur le synthétique, il faut remonter à l’été 2013 pour retrouver un niveau de stress comparable. Il convient de souligner, cependant, que les mouvements sur le cash sont d’ampleur beaucoup plus limités (le spread OAS sur l’indice Barclays Corporate ne s’est écarté que de 2bps à 92bps). Cela traduit deux phénomènes : d’une part, la raréfaction de la liquidité offerte par les banques, inversement proportionnelle à la hausse de la volatilité, en particulier pour les titres « high beta » (dettes hybrides corporates, dettes périphérique, dette bancaire subordonnée etc…) et, d’autre part, l’absence de rachats dans les fonds ce qui limite la pression vendeuse. En revanche, compte tenu de la faiblesse de la liquidité, tout mouvement de vente devrait se traduire par un fort ajustement en prix. Il en est de même, bien sûr, sur le marché du High Yield pour lequel les dernières publications de Moody’s tendent à montrer que les taux de défaut devraient rester bas (à fin 2014, il devrait être de 1.4% en Europe).

Comme d’habitude lorsque la thématique du « risk off » revient brutalement sur les marchés, les marchés d’actions, toujours liquides sur les grandes capitalisations, sont pénalisés et ce d’autant plus qu’ils avaient déjà commencé à renverser leurs tendances haussières en fin de semaine dernière. La volatilité à court terme était très orientée à l’achat avec des achats de protections. La volatilité long terme est quant à elle inchangée sur la séance avec des intérêts plutôt vendeurs sans, à ce stade, de propagation du stress sur le moyen terme.

2/ « Une vague » ? Cette hausse brutale de la volatilité sur les marchés financiers traduit la perception d’une croissance mondiale (y compris aux États-Unis) qui sera légèrement plus faible ou un peu plus fragile (Chine) et, clairement, encalminée en Europe continentale. Nous avons assisté récemment à un processus de révision à la baisse de ces croissances (la dernière en date est celle du FMI) sans que l’on puisse parler de véritable surprise (nous étions pour ce qui nous concerne plus prudent que le consensus et ne changeons pas à ce stade nos anticipations). Cependant, ces mouvements de marché ne peuvent pas s’expliquer seulement par des changements dans la perception sur les fondamentaux économiques. Les statistiques publiées hier aux États-Unis sont certes décevantes. Elles ne sont pas non plus – à ce stade à tout le moins – inquiétantes. Celle publiée aujourd’hui sur les allocations chômage est rassurante.

Et surtout, ces inquiétudes économiques doivent désormais être tempérées par la forte baisse du prix du pétrole (près de 35 dollars en quatre mois) et la détente des taux longs qui constituent à terme des facteurs de soutien de la conjoncture, y compris en Zone euro.

3/ « Une lame de fond » potentielle ? En fait, la volatilité sur les marchés d’actifs risqués s’explique pour une très grande partie par une incertitude « monétaire », à savoir que les marchés ont commencé à douter des banques centrales dont les décisions et la communication sont devenues encore plus structurantes au quotidien.

Incontestablement, la BCE a fait preuve de volontarisme, mais elle n’a jamais suffisamment surpris ces derniers mois pour « reprendre la main » et inverser la tendance baissière sur les anticipations d’inflation qui se sont, ensuite, inéluctablement détériorées. Ces anticipations d’inflation telles que déduites des obligations indexées sur l’inflation s’établissent aujourd’hui pratiquement à 1.70% pour le « 5 ans dans 5 ans » contre 2.05% début septembre. Il devient donc très difficile pour la BCE de maintenir que ces anticipations d’inflation sont bien ancrées. Le marché appelle un nouveau geste plus fort de la BCE, et il finira probablement par l’obtenir, via, probablement, de nouvelles mesures non conventionnelles sur la dette privée. Mais au passage, la BCE a un peu perdu en crédibilité en subissant l’évènement plutôt qu’en tentant de le devancer.

La Fed aussi a soufflé le chaud et le froid, en partie en raison du risque européen. Mais au-delà, le désaccord tend à augmenter entre les banquiers centraux américains entre d’un côté ceux qui pensent qu’il est urgent de ne rien faire, et ceux qui sont convaincus que l’issue d’une politique monétaire trop durablement accommodante est fatale. Ce désaccord grandissant combiné à un diagnostic de «valorisation tendue sur les actifs risqués » ne peut pas ne pas inquiéter les investisseurs.

Tant que les banques centrales ne reprendront pas la main, l’incertitude monétaire alimentera l’incertitude financière dans un contexte qui au plan économique qui reste fragile partout et au plan politique instable dans certaines zones, y compris en Europe. Comme nous pensons que ces institutions finiront par reprendre la main, les évènements récents ne s’apparentent pas pour nous à une « lame de fond » mais peuvent, au contraire, être saisis comme des points d’entrée sur les actifs risqués à la condition d’assumer une volatilité qui peut perdurer tant que les politiques monétaires ne deviennent pas plus lisibles de part et d‘autre de l’Atlantique.